Vive la Catalogne libre!
Alliance socialiste et
indépendantiste (4 de 4)
Les résultats des dernières élections
catalanes sont extrêmement stimulantes pour comprendre les transformations du
mouvement indépendantiste dans le monde. Au Québec, tant la gauche que le
mouvement souverainiste devraient remettre en question certaines idées reçues
sur la question nationale et son articulation avec la question sociale. En
analysant les dernières péripéties catalanes, nous essayerons de tracer un
portrait quant à l’avenir d’une alliance socialiste et indépendantiste, qui
pourrait s’inscrire dans un rapprochement plus étroit entre Québec solidaire et
Option nationale.
Bref portrait du
catalanisme
Le mouvement indépendantiste catalan a
une longue histoire. D’abord issu du mouvement culturel et romantique
Renaixença, qui prôna une réaffirmation de la langue catalane et des
revendications régionalistes, le catalanisme se transforma peu à peu en mouvement
nationaliste, visant la reconnaissance de la nation et l’autonomie politique de
la Catalogne. D’abord marqué par le républicanisme de gauche, le mouvement
indépendantiste a dû affronter la vive répression du régime franquiste, qui
désirait écarter les cultures régionales et les mouvements autonomistes.
Le camp « républicain », formant le Front populaire durant guerre d'Espagne, était une alliance parfois tendue entre les républicains de gauche,
socialistes, communistes et anarchistes. Ils essayèrent tant bien que mal de résister
contre le camp « nationaliste » de la dictature du gouvernement
espagnol sous le règne de Franco. Comme le nationalisme peut souvent être
associé à une idéologie conservatrice et autoritaire, il serait donc mieux de
réserver ce vocable aux partisans de l’identité nationale à droite de
l’échiquier politique, par opposition aux « indépendantistes » qui se
placent souvent dans une posture de résistance égalitariste, d’un mouvement
d’émancipation ou de libération nationale, beaucoup plus marqué à gauche.
Au Québec par exemple, un parti comme la
CAQ est nationaliste sans être souverainiste, tandis que Québec solidaire est
indépendantiste et souverainiste. De son côté, le Parti indépendantiste est
davantage nationaliste, alors que le Rassemblement pour l’indépendance du
Québec (RIN) était clairement indépendantiste. Les partis au centre, comme le
Parti québécois et Option nationale, se concentrent sur la souveraineté en
oscillant entre le nationalisme et l’indépendantisme. Cette distinction
entre indépendantisme (gauche) et nationalisme (droite) est limitée, mais
tout de même utile pour comprendre les alliances politiques.
Pour revenir à la Catalogne, elle
acquiert un statut d’autonomie en 1932 par le biais d’un gouvernement catalan,
la Generalitat. Grandement limitée par le régime franquiste, la Generalitat ne
sera vraiment rétablie qu’après la mort de Franco et une importante grève, en
1977. Pendant la dictature, un important mouvement ouvrier faisait renaître des
activités politiques et culturelles, en conjonction avec des universitaires qui
créèrent la revue Serra d’Or qui fut censurée. L’indépendantisme se plaça d’emblée du côté de la résistance ouvrière, contre l’oppression nationaliste
espagnole.
Ensuite, la Constitution espagnole de
1978 reconnut l’Espagne comme un État démocratique composé de plusieurs régions
et nationalités. Cela ne fit pas reculer le mouvement indépendantiste pour
autant, un groupe armé comme Terra Lliure (analogue catalan du FLQ) commis 200
attentats en 1978 et 1985, avant de se dissoudre et de se rallier au parti
Esquerra Republicana. Pendant ce temps, le parti nationaliste de centre-droit
Convergència i Unio (CiU), dont l’équivalent québécois pourrait être le PQ,
prit le pouvoir de 1980 à 2003.
Le parti CiU fut remplacé par une
coalition de gauche, formé par le Parti socialiste de Catalogne (PSC), Esquerra
Republicana (ERC) et Iniciativa per Catalunya Verds - Esquerra
Unida i Alternativa (ICV-EUiA), parti écosocialiste indépendantiste. Le 30
septembre 2005, cette alliance socialiste et indépendantiste adopta une réforme
importante pour la Catalogne, reconnaissant celle-ci comme une nation et lui
octroyant davantage de compétences politiques. Malheureusement, le 10 juillet
2010, la Cour constitutionnelle espagnole annula une large partie de l’accord
et enleva toute référence à la nationalité. Le soir même, un million de personnes
se réunirent à Barcelone et scandèrent « Nous sommes une nation, c’est à
nous de décider ».
Élections catalanes 2012
Le 11 septembre septembre, jour de la
fête nationale catalane (Diada), une
gigantesque manifestation indépendantiste d’un million et demi de personnes eut
lieu à Barcelone. Le président Artur Mas décida alors de déclencher des
élections, qui eurent des résultats très intéressants. Les principaux perdants
furent la coalition nationaliste et conservatrice (CiU) et le Parti socialiste
fédéraliste (PSC), qui perdirent plusieurs sièges au profit des formations de
gauche indépendantistes. Le CiU reste le parti dominant, mais il devra
forcément faire une alliance, notamment avec la gauche. Voici un portrait des
élections qui essaie de tracer un portrait avec les partis québécois.
Parti politique catalan
|
Équivalent québécois
|
Position politique
|
Sièges
|
Convergence et Union (CiU)
|
Parti québécois
|
Centre-droit
nationaliste
|
50 (-8)
|
Gauche républicaine (ERC)
|
Québec solidaire (modéré)
|
Gauche
indépendantiste
|
21 (+11)
|
Parti socialiste (PSC)
|
NPD-Québec?
|
Gauche
fédéraliste
|
20 (-8)
|
Parti populaire de
Catalogne (PPC)
|
Parti libéral
|
Centre-droit
fédéraliste
|
19 (+1)
|
Initiative verte – Gauche
alternative unie (ICV-EUiA)
|
Québec solidaire (radical)
|
Extrême-gauche
indépendantiste
|
13 (+3)
|
Citoyens – Parti des
citoyens
(Cs)
|
Union citoyenneté du Québec
(UCQ)
|
Centre
fédéraliste
|
9 (+6)
|
Candidatura d’Unitat Popular (CUP)
|
Québec solidaire
(radical)
|
Extrême-gauche
indépendantiste
|
3
|
Au total, il y a donc 87 députés souverainistes,
contre 48 fédéralistes. Sur les 87, seulement 50 sont nationalistes, contre 37
indépendantistes qui vont de la gauche républicaine à la gauche radicale
écologiste. Évidemment, cette situation politique ne reflète en rien la
configuration actuelle des forces souverainistes et progressistes au Québec. Mais elle peut nous apprendre quelque chose sur la trajectoire des luttes de
libération nationale, dans un contexte économique explosif et d’accroissement
des inégalités sociales.
D’un côté, il est faux de croire qu’il soit
nécessaire de faire abstraction du clivage gauche/droite pour se concentrer sur
le débat souverainiste/fédéraliste. Les deux axes existent et sont en tension
continue, de sorte qu’il faut se positionner clairement sur ces options et les
articuler pour bander l’arc de l’émancipation. La gauche n’affaiblit pas le mouvement indépendantiste, mais le
renforce. Contre toute apparence, il s’avère que Québec solidaire possède
une position indépendantiste plus radicale qu’Option nationale. En
effet, le premier propose une indépendance populaire et participative, alors
que le second opte pour une souveraineté nationale et représentative. Le fait
que QS ait plusieurs priorités, dont la solidarité sociale, le féminisme et
l’écologie, ne diminue en rien sa position indépendantiste, à l’instar d’ERC et
ICV-EUiA.
Évidemment, la gauche n’implique pas
nécessairement une position souverainiste, comme le montre le PSC et un
éventuel NPD-Québec. Il serait même utile qu’un tel parti soit créé, de manière
à rafler quelques sièges dans l’Ouest de Montréal. Les anglophones qui votent
systématiquement pour le Parti libéral ou le Parti vert, faute de mieux,
pourraient enfin opter pour une solution non-souverainiste et progressiste. Par
ailleurs, la gauche indépendantiste devra inévitablement consolider ses forces,
car contrairement à la Catalogne, le Québec ne peut se permettre d’avoir
plusieurs partis de gauche et d’extrême-gauche avec autant de sièges, pour
faire le poids contre la droite souverainiste et fédéraliste.
De son côté, le nationalisme de centre-droit
doit forcément faire des compromis et s’aligner sur le statu quo, et essayer de
gagner l’électorat de ses adversaires à droite. C’est le cas notamment du Parti
québécois, dont le dernier budget est en parfaite continuité avec le
nationalisme conservateur de la CAQ, le néolibéralisme du PLQ, avec un soupçon
de social-démocratie pour ne pas déplaire à l’électorat progressiste. Si ON
veut ratisser large et aller chercher les souverainistes de droite, alors il
devra forcément faire des compromis sur son projet social-démocrate et
ressembler au PQ, duquel il souhaite justement se distinguer.
La solution n’est donc pas d’accentuer la
question nationale et de mettre de côté le conflit social, ce qui nous
rapprocherait clairement du centre et ramollirait par ailleurs le projet
souverainiste. Il faut au contraire radicaliser la gauche en la marquant du
sceau de la lutte de libération nationale, et radicaliser les indépendantistes
sur le plan des enjeux économiques, sociaux et écologiques, qui ne préoccupent
guère l’establishment de la bourgeoisie canadienne ou québécoise. Un Québec ne
sera pas indépendant s’il reste dépendant du pétrole albertain et détruit ses
terres fertiles par des gaz de schiste, que le veuille ou non Pauline Marois,
Lucien Bouchard ou André Boisclair.
Le dilemme de la
conjonction politique
Si Québec solidaire et Option nationale
représentent les deux vrais partis indépendantistes de gauche, ressemblant à
une sorte de mélange entre ERC et ICV-EUiA, devraient-ils rester distincts ou
s’unir? Ces deux approches peuvent-elles se concilier dans un même parti?
Devrait-on s’en tenir à une coalition électorale? ON devrait-il plier bagage et
entrer doucement dans QS, sans que ce dernier soit transformé? C’est un
scénario envisageable, mais qui ne tirerait pas profit des opportunités
actuelles. D’une certaine manière, cela signifierait qu’ON aurait perdu sa
bataille et se résignerait, et qu’il ne resterait que les deux anciens joueurs,
QS et le PQ. Cependant, QS aurait avantage à gonfler ses rangs souverainistes,
d’autant plus que sa position indépendantiste est en pleine évolution et
mériterait d’être encore plus affirmée.
Cependant, ON voudrait probablement tenter une
fusion entre les deux partis, un peu comme la CAQ qui a pris le relais de
l’ADQ. ON privilégierait probablement ce scénario, car cela lui permettrait de
lui donner une place importante dans le nouveau parti, au lieu de trouver un
rôle subalterne dans l’ancien. Néanmoins, il ne serait pas possible de
simplement dissoudre les anciens partis et de les amalgamer dans une nouvelle
entité, sans prendre en compte les contraintes, les valeurs, et les priorités
de chaque parti. Cette solution serait-elle gagnant/gagnant, gagnant/perdant,
ou perdant/perdant?
Il faut d’abord reconnaître que QS est plus
ancien et plus complexe, de sorte qu’il ne pourrait se simplifier à outrance et
privilégier l’unique indépendance au détriment de son programme social et
écologique sans se dénaturer. QS a plusieurs valeurs dominantes, plusieurs
priorités qui ne sont pas hiérarchisées, mais qui s’impliquent mutuellement
dans un agencement interdépendant. Dans tous les cas, ON devra renoncer au
monothéisme de la souveraineté, et accepter que l’indépendance soit une priorité
constitutive, sans être la seule à fournir la structure du parti.
Par ailleurs, QS pourrait développer une
structure d’accueil pour ON, afin de lui donner un pouvoir particulier et
assurer son indépendance politique et idéologique, un peu comme le Parti communiste
du Québec (PCQ) qui a décidé d’entrer dans QS tout en gardant son autonomie. Ce
scénario permettrait l’absorption d’ON par QS, tout en gardant l’identité du
premier. Mais cette solution préserverait l’intégrité du programme de QS, la
nouveauté essentielle s’exprimant par une posture plus marquée sur le plan
souverainiste. Plusieurs solidaires seraient heureux de ce scénario, mais
plusieurs « optionistes » se sentiraient peut-être à l’étroit.
La stratégie d’une coalition est également
envisageable, quoi qu’elle ne donne pas davantage de forces aux deux partis. Le
pacte de non-agression de la dernière campagne électorale a presque permis à
Aussant d’être élu, et a probablement donné un coup de pouce à Françoise David.
L’extension d’une coalition aurait peut-être permis de consacrer Serge Roy ou
Catherine Dorion dans Taschereau. Mais cette stratégie conjoncturelle (et non
structurelle) n’augmente pas la force des deux partis, qui continuent à militer
à longueur d’année sur leur terrain respectif, dédoublant ainsi les forces de
partis indépendantistes et progressistes très semblables par ailleurs. S’il n’y
a pas de fusion ou d’absorption d’ici la prochaine campagne électorale, une
stratégie de front uni sera certainement au rendez-vous.
Les défis d’un nouveau
parti
Enfin, le scénario le plus excitant mais le
plus incertain serait une véritable fusion, la création d’un nouveau parti.
L’avantage principal serait de donner une plus forte visibilité aux projets de
Québec solidaire et Option nationale, tout en constituant la principale
alternative au vieux partis de la scène politique provinciale. On aurait ainsi
un parti à la fois plus progressiste et plus souverainiste que son principal
rival, le Parti québécois. Cette stratégie pourrait accélérer le déclin du PQ,
de sorte que la réelle unité indépendantiste et progressiste aurait pris
naissance à l’extérieur de la vieille formation politique, dans un terreau
jeune et dynamique, qui prendrait le relais de l’émancipation de la société
québécoise.
Le nouveau parti pourrait avoir comme axe central la justice sociale, l’indépendance,
l’écologie et la réforme des institutions démocratiques. Nous aurions ainsi
tous les ingrédients réunis pour constituer un réel changement au Québec, qui ne serait pas un simple ménage ou
dégraissage de l’État, mais une transformation sociale, politique et
économique. Il pourrait y avoir une aile gauche du parti, constituée en bonne
partie par QS, et une aile indépendantiste formée par ON, qui seraient deux
faces formellement distinctes mais réellement unies. En prenant l'exemple catalan, il pourrait y avoir une aile républicaine semblable à ERC, regroupant les indépendantistes et nationalistes de gauche, et une aile socialiste similaire à ICV-EUiA, regroupant la gauche radicale et les écologistes. Il y aurait une conjonction de l'estelada blava (drapeau à l'étoile bleu et l'étoile blanche qui représente qui représente le mouvement catalan depuis 1918), et l'estalada groga (triangle jaune et étoile rouge, qui donne un accent socialiste au mouvement indépendantiste).
La majorité du
programme solidaire devra rester intact, mais il devra ajouter les éléments
essentiels d’Option nationale (Banque du Québec, pédagogie du LIT, etc.), en
combinant les principales forces des deux formations sans les écraser. Les deux
types d'argumentation pour la souveraineté, la gratuité scolaire et autres
propositions sociales, politiques et économiques pourraient être réunies, de
sorte que nous pourrions convaincre à la fois l’homo economicus et l’homo
civicus présents dans chaque individu. Si QS justifie son projet en terme
de justice (tout en prenant soin de chiffrer ses engagements), ON met
l’emphase sur l’efficacité de sa plateforme, de sorte que nous aurions
deux justifications complémentaires de politiques relativement semblables.
Évidemment, il faudrait éviter de former une bouillie idéologique et politique,
mais la combinaison d’éléments hétérogènes dans un tout cohérent est toujours
possible si elle découle d’un processus démocratique, participatif et
délibératif, permettant d’obtenir un consensus par recoupement. Si un
tel consensus était impossible à atteindre, nous aurions tout de même une
alliance stratégique et pratique sur fond de différends idéologiques.
Digression sur les
verts
Par ailleurs, le Parti vert du Québec, qui
s’est classé quatrième dans l’évaluation environnementale des partis politiques
(QS étant premier), pourrait décider de rejoindre le nouveau parti. Ceci
donnerait une couleur véritablement verte à la nouvelle formation (même si QS
est déjà écologiste), de sorte qu’il pourrait clairement se démarquer du
pseudo-développement durable des principaux partis (PQ, CAQ, PLQ). Certes, le
PVQ est mal organisé, peu stratégique, moyennement cohérent, et agnostique sur
les débats gauche/droite, fédéraliste/souverainiste. Il recueille
essentiellement le vote des fédéralistes progressistes, de sorte qu’il pourrait
éventuellement s’allier à l’Union citoyenne du Québec (UCQ) ou à un
hypothétique NPD-Québec.
Mais son programme réformiste-centriste-ambigu,
qui relève principalement des contradictions de l’écologie politique des années
80, pourrait recevoir sa pleine expression dans une nouvelle formation
réellement écologiste. Comme le programme du parti vert est caduc, car il ne
trouve pas sa place dans l’échiquier politique et se base sur le discours vague
du développement durable (qui fait consensus sans réellement changer les
choses), il devra procéder à une critique des véritables causes de la crise
écologique, dont le néolibéralisme constitue l’une des plus importantes
composantes. Si le PVQ ne peut faire mieux que le Parti québécois, il n’a qu’à
rejoindre ce parti (ce que ses anciens chefs Scott McKay et Jean Ouimet ont
fait par le passé), ou bien se joindre à un parti réellement écologiste. QS n’a
pas besoin du PVQ pour être plus écologiste, mais le premier gagnerait à
accueillir les militants écologistes du second, ces derniers ayant avantage à
participer à une force politique
émergente. Toute formation politique qui met la crise écologique en second plan
au profit de l'économie est aujourd'hui totalement irresponsable parce que la
justice sociale et écologique, la survie de l'humanité et celle des
écosystèmes, sont indissociables.
Cette digression sur le parti
vert permet d’éclairer une crainte réelle reliée à toute nouvelle formation
politique : la peur d’être dénaturé. Le PVQ avait déjà approché l’UFP par
le passé, et QS avait tenté d’ouvrir ses portes ; mais les verts ont eu
peur de se faire manger par la gauche, de devenir une simple cause parmi
d’autres. La même inquiétude pourrait survenir, tant chez les solidaires que
les optionistes ; les premiers auraient peur de perdre la justice sociale
au profit de l’indépendance, et les seconds l’inverse. Or, une nouvelle
formation progressiste et indépendantiste devrait réunir une pluralité de
principes fondamentaux et ne pas les hiérarchiser. Que ce passerait-il si les
féministes craignaient de perdre leur importance face aux socialistes, et
les gauchistes perdre leur visibilité devant les écologistes ? Pourtant,
toute cette pluralité coexiste très bien dans QS, car les parties agissent et
réfléchissent ensemble tout en gardant leur spécificité. L’unité n’est pas
menacée par la diversité ; le Multiple enrichit l’Un, et l’Un redonne sa force
au Multiple.
Multiplier
les forces, éviter la neutralisation
La nouvelle formation politique
pourrait donc rassembler un nouveau joueur essentiel de la scène politique
québécoise (ON), ressusciter un parti en perdition (PVQ), et renforcer le plus
important parti de « nouvelle génération », Québec solidaire. Le PVQ
aurait moins peur de perdre sa place au profit de la gauche, car ON ferait
également valoir ses points, et il n’y aurait plus de formation prédominante
menaçant d’englober les autres. Le principal inconvénient d’un tel scénario de
fusion serait le risque non-négligeable de faire pencher QS vers le centre (ON
étant moins gauchiste, et le PVQ moins souverainiste). On aurait donc une
neutralisation politique de chaque parti au profit d’une nouvelle entité molle
et décentrée, au lieu d’une nouvelle formation radicalisée par les forces vives
de chaque partie. Le principal risque est là : comment augmenter nos
forces respectives sans se perdre mutuellement, comment combiner les éléments
gagnants de chaque idée dans une nouvelle configuration politique, à la fois
inspirante et stratégique ?
Un tel scénario, profondément
instable mais riche en potentialités, devra se baser sur des idées directrices.
Le nouveau parti ne pourra avoir un seul but ultime, que ce soit la
gauche, l’indépendance ou l’écologie. La combinaison des priorités ne formerait
pas une chaîne, qui ne serait guère plus solide que son maillon le plus
faible. L’entrelacement des valeurs constitutives formerait plutôt un câble,
dont les fibres se renforceront mutuellement.
L’échiquier politique québécois
Pour visualiser la configuration des forces progressistes et souverainistes, il est important de prendre un échiquier politique bien adapté à la situation québécoise. Je m'inspire donc du schéma tiré du blog de Carl Boileau. Carl Boileau aurait espéré un projet de réforme
du PQ en alliant divers clubs politiques (altermondialiste, écologiste,
nationaliste centre-droit, syndical), ce qui placerait le parti dans un
centre-gauche timide. Mais on peut constater qu'un PQ au pouvoir se déplace
toujours vers la droite et un compromis fédéraliste à cause de contraintes
électorales, parlementaires et économiques. Le projet ici proposé est de
créer une alliance ou un nouveau parti, dont QS et ON seraient les principaux
acteurs.
Dans le premier scénario (point bleu dans la zone de rupture), les
QS et ON se combinent et font plusieurs compromis de chaque côté. Nous
obtiendrons alors une nouvelle formation politique un peu moins à gauche et un peu moins
souverainiste, mais nettement plus radicale
que le PQ. Dans le deuxième scénario (point rouge), les deux partis ne se
neutralisent pas mais additionnent leurs forces (à la manière d'un produit
scalaire). Le nouveau parti serait ainsi à la fois plus à gauche et plus
indépendantiste. Ce scénario serait probablement moins populaire immédiatement
auprès des électeurs (rupture trop radicale pour plusieurs), mais il
permettrait néanmoins de se démarquer de son principal rival, le PQ, qui
demeure dans un centre souverainiste et timide. Le nouveau parti serait alors
la vraie alternative aux partis centristes, libéraux, fédéralistes et
conservateurs de la vieille génération (PQ, PLQ et CAQ).
Pour ce qui est du Parti vert du Québec, qui
est invisible sur cet échiquier politique (ce dernier ne voulant pas se
positionner officiellement sur l'axe gauche/droite et
souverainiste/progressiste!), il se situe probablement dans un endroit proche du
NPD fédéral ou de la "place virtuelle pour un nouveau parti". Il
rejoindrait donc probablement l'UCQ (nouveau parti fédéraliste de centre) et un
éventuel NPD-Québec, à moins qu'il décide d'opter pour un parti réellement
écologiste. Dans le scénario de l'arrivée hypothétique
d'un nouveau parti progressiste fédéraliste, QS aurait la chance de se
démarquer nettement par son indépendantisme, et le nouveau NPD-Québec pourrait
enfin gruger des votes aux libéraux sur l'ouest de l'île de Montréal. Ce
nouveau joueur ne serait donc pas une menace pour le projet indépendantiste
solidaire.
Par ailleurs, si un nouveau parti politique
nationaliste conservateur émerge (en haut à droite du cadran), ON pourrait être
tenté de le rejoindre en délaissant son programme progressiste, en voulant
faire la souveraineté à tout prix (indépendamment de l'axe gauche/droite). On
assisterait alors à l'émergence d'un front nationaliste virtuellement
dangereux, se rapprochant davantage du Front national français ou du camp
"nationaliste" de Franco (pour reprendre l'analogie de la guerre
d'Espagne). Ce scénario serait malheureux, car il diviserait les voix
souverainistes entre la gauche (QS), le centre (PQ), et la droite (nationalisme
identitaire de la CAQ et virtuellement ON).
Le nationalisme, pris isolément, surtout
dans un contexte de mondialisation néolibérale, peut facilement se retourner en
un souverainisme allergique aux intrus, les individus déboussolés voulant se
retrouver « entre nous ». C'est
pourquoi le nationalisme de gauche, ou indépendantisme, doit être
privilégié contre ses dérives de droite. Une grande alliance entre QS et
ON permettrait ainsi d'éviter ce piège, et de former un parti de rupture
avec le système politique et économique dominant.
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