La querelle de la Constituante, prise 2
Le vague et
l’ouvert
Le débat sur l’indépendance et la
nature de l’Assemblée constituante est maintenant lancé au sein de Québec
solidaire. Contre toute attente, une illusion de consensus entourant la
question nationale a été rompue, et de vives réactions ont fusé de toutes
parts, tant à la base qu’à la tête du parti. Il ne s’agit point d’une querelle
de mots, mais bien d’un débat de fond laissant entrevoir deux interprétations
divergentes de la position actuelle : est-elle vague et mérite-t-elle donc
d’être clarifiée, ou est-elle plutôt ouverte et ne doit en aucun cas être
refermée ?
Le premier camp considère que la
formulation de l’Assemblée constituante reste floue quant à l’avenir politique
du Québec ; va-t-elle déboucher sur un projet de constitution incluant une
déclaration de souveraineté, ou laisse-t-elle la porte ouverte à une
constitution « provinciale », c’est-à-dire compatible avec le cadre
fédéraliste canadien ? Cette ambiguïté est lourde de conséquences, car
elle souligne l’exclusion possible d’un vote sur l’indépendance du Québec lors
du référendum, dans l’éventualité où l’Assemblée constituante aurait décidée de
ne pas aller de l’avant avec cette proposition parce qu’elle n’aurait pas fait
« consensus ». Pour remédier à cette fâcheuse situation, il faudrait
donc préciser que le mandat de l’Assemblée constituante serait de rédiger la
constitution du pays du Québec.
Les opposants à cette proposition
de précision stipulent qu’il ne s’agit pas d’une position vague, mais qu’elle
est délibérément ouverte pour laisser libre cours au débat sur la question
nationale. Il ne faudrait pas refermer à l’avance l’Assemblée constituante sur
une position souverainiste, car ce serait anti-démocratique et malheureux pour
les indécis(es) qui sont favorables à la stratégie inclusive de Québec
solidaire. Évidemment, l’option souverainiste émergerait de la délibération, et
il y a de bonnes raisons de croire qu’elle se retrouvera dans le projet de
constitution qui sera soumis à la population par référendum. Pas la peine de
s’inquiéter, car il s’agirait de bien expliquer la pédagogie solidaire et de
défendre la nécessité de l’indépendance, « sans présumer de l’issue des
débats ».
La gauche et le
centre
Ces deux positions peuvent être
illustrées par « l’échiquier politique de la souveraineté »,
permettant de situer chaque parti par rapport au degré d’affirmation de la
question nationale. À la droite de l’échiquier, nous avons le Parti libéral du
Québec qui est clairement fédéraliste (statu quo). Au centre-droit, nous avons
la Coalition avenir Québec qui est « autonomiste », rejetant à la
fois le souverainisme et le fédéralisme. Au centre de l’échiquier, nous avons
la position actuelle du Parti québécois, c’est-à-dire la « gouvernance
souverainiste » qui pratique l’autonomisme et souhaite faire un référendum
au « moment opportun ». Au centre-gauche, Option nationale et Québec
solidaire promettent de relancer le débat et un référendum sur la question
nationale dès leur premier mandat.
Or, l’Assemblée constituante
laisse place à deux interprétations. D’une part, la vision « indépendantiste »,
à gauche de l’échiquier politique, souligne que l’objectif premier est de
réaliser l’indépendance à travers l’exercice de la souveraineté populaire, qui
permettra de former un projet de pays capable de mobiliser et légitimer la
création d’un nouvel État indépendant. D’autre part, la vision « ouverte »,
située au centre de l’échiquier politique, laisse la porte ouverte à un projet
de constitution d’un Québec autonome au sein de la fédération canadienne, et
insiste sur le caractère absolument indéterminé de la démarche de
démocratie participative. Cette interprétation est actuellement défendue par la
tête du parti, ce qui explique pourquoi Jean-Martin Aussant met Québec
solidaire et le Parti québécois dans le même bateau du « peut-être ».
Une question de
porte-parole ?
Par ailleurs, certaines personnes
considèrent que le problème ne réside pas tant dans la précision du mandat de
l’Assemblée constituante, mais dans le discours des porte-paroles qui ne
mettent pas assez de l’avant l’indépendance du Québec. Il faudrait davantage
insister sur le contexte d’ébullition sociale dans lequel sera situé un
gouvernement solidaire, l’Assemblée constituante se rapprochant moins d’une
simple discussion que d'un processus dynamique traversé par des rapports de force.
« Il reste
qu’une telle démarche ne peut se comprendre et avoir du sens que si le passage
par la constituante est conçu comme autre chose qu’une simple invitation faite
par le gouvernement de QS à discuter démocratiquement de constitution avec tous
les secteurs de la population. Ce passage devrait être plutôt pensé comme
"l’instrument démocratique puissant" à travers lequel QS va parvenir
à rallier (parce qu’il va se battre pour cela) de larges secteurs de la
population autour de son projet d’indépendance, et cela au fil d’une
mobilisation grandissante qu’il encouragera. » - Pierre Mouterde, Constituante et processus constituant : http://www.pressegauche.org/spip.php?article13403
Bien que nous soyons d’accord
avec cette conception, il n’en demeure pas moins que le discours sur
l’indépendance des porte-paroles est
conditionné par leur interprétation de la nature de l’Assemblée
constituante. Actuellement, Québec solidaire met la constituante à
l’avant-scène parce que l’interprétation dominante est celle de la position
« ouverte » qui privilégie la « discussion inclusive » et
non l’objectif du processus, c’est-à-dire la création du pays du Québec. Ce
n’est donc pas un hasard si la question sociale prend une posture plus affirmée
tandis que la défense de l’indépendance est moins assumée. Le but est de
rassembler au lieu d’effrayer, l’ouverture permettant d’aller chercher de
nouveaux appuis.
Une différence de
fond
Deux
interprétations de la constituante peuvent-elles coexister au sein du même
parti ? En fait, ce que la proposition d’amendement a permis de mettre en
évidence, c’est de montrer le caractère intuitif ou contre-intuitif de la
souveraineté comme résultat nécessaire du processus. Pour plusieurs membres, il
allait de soi que l’Assemblée constituante devait débattre de la constitution
du pays du Québec, et qu’il n’était pas possible que la question de
l’indépendance ne se retrouve pas lors du référendum final. Pour d’autres,
préciser le mandat de l’Assemblée constituante revenait à modifier en
profondeur le programme du parti, voire à limiter la portée démocratique de
cette stratégie.
La différence
idéologique peut être résumée comme suit : les tenants de la constituante
« ouverte » veulent remettre la question nationale (indéterminée)
dans les mains de la population, alors que les adeptes de la constituante
« clarifiée » proposent de remettre l’indépendance dans les mains du
peuple québécois.
Dans tous les cas,
cette question devra être discutée lors du prochain congrès de Québec
solidaire, d’autant plus que l’ordre du jour comprend les thèmes
suivants : retour sur le rapprochement avec Option nationale, débat sur
les alliances électorales, modification de la plateforme, etc. Le congrès
représente l’instance suprême du parti, et une précision de la plateforme et/ou
du programme pour une question aussi centrale dans la conjoncture actuelle ne peut
être écartée pour des raisons procédurales : manque de temps, manque de
débat préalable, non-pertinence de la proposition, etc. Si la question de
l’articulation de l’indépendance et l’Assemblée constituante n’est pas débattue
dans ce congrès, quand pourra-t-elle l’être ?
Une
proposition démocratique
Évidemment, si la
proposition de modification n’est pas incluse dans le cahier de propositions de
la Commission politique, elle ne pourra pas être débattue dans les assemblées
locales avant le congrès. On aura alors écarté une proposition légitime à
l’aide d’une prophétie auto-réalisatrice : l’ayant exclue de la discussion
préalable, on aura une raison supplémentaire pour justifier le fait qu’elle ne soit
pas traitée dans le congrès faute d’avoir été suffisamment débattue. Or, le
débat est déjà lancé dans les rangs de Québec solidaire, de sorte qu’une
décision quant à l’interprétation ouverte ou indépendantiste de la constituante
devra être prise tôt ou tard.
Une autre solution
possible serait d’organiser un congrès spécial à l’automne sur cette question. Le
débat pourrait être lancé en mai, et la Commission thématique sur la
souveraineté pourrait avoir comme mandat de travailler sur l’éclaircissement de
l’Assemblée constituante, ce qui montrerait le sérieux du parti sur la question
nationale. S’il y a un certain consensus au sein du parti sur la nécessité de
préciser la nature de l’Assemblée constituante, le désaccord sur la forme de
cet éclaircissement pourrait être finalement tranché lors d’un prochain congrès
rapproché, permettant à la fois de régler la question et d’entamer l’enjeu 4.
Cette option favoriserait de larges débats, et une meilleure intériorisation
des arguments relatifs à l’indépendance et la constituante par les membres du
parti.
L’argument
massue
Bien que les adeptes de
« l’ouverture » semblent pour l’instant avoir le dessus sur les adeptes
de « la clarification », du moins au sein des instances du parti, les
seconds ont un argument de taille pour montrer l’impossibilité technique de
l’option ouverte : la constitution canadienne.
Théoriquement, une province peut
se doter d’une constitution, comme le propose actuellement le Parti
québécois au point 1.3 de son programme : « Ce texte fondamental intégrera une version amendée de
la Charte des droits et libertés de la personne de façon à ce que, dans son
interprétation et son application, il soit tenu compte du patrimoine historique
et des valeurs fondamentales de la nation québécoise: la prédominance de la
langue française, l’égalité entre les femmes et les hommes et la laïcité des
institutions publiques. » http://pq.org/parti/programme
« Par contre,
il est impossible par définition qu'elle soit rédigée en contradiction avec la
véritable constitution qui est la source première de droit, c’est-à-dire la
constitution canadienne. En d'autres termes, il est impossible, à travers une
constitution provinciale, de redéfinir le rapport Canada/provinces car celui-ci
est déjà défini dans les articles 91 et 92 de la constitution canadienne. Pour
les modifier et donc rapatrier des pouvoirs (d'autres diraient renouveler le
fédéralisme ou faire de la gouvernance souverainiste), il faudrait une majorité
des provinces qui représentent la majorité de la population canadienne. C'est
une autre game, une autre démarche. Pour y arriver, la constituante ne serait
définitivement pas le bon forum. » - Alexandre Leduc
L’indépendance
nécessairement
Les adeptes de
l’ouverture, qui veulent absolument éviter de refermer le débat sur la question
nationale, sont donc contraints d’accepter que l’ouverture du débat sur la
question constitutionnelle dépende
formellement de l’indépendance éventuelle du Québec. Autrement dit, pour
avoir un réel débat de fond sur le projet de pays, c’est-à-dire « avoir
les coudées franches » pour inclure les valeurs et les institutions
désirées par le peuple québécois dans sa constitution, celui-ci devra avoir la
possibilité de décréter la souveraineté du Québec lors du référendum. Une belle
discussion démocratique sur une constitution sans l’horizon du pays est un
non-sens juridiquement parlant, tout simplement.
Le « fait
juridique » de la constitution canadienne rend caduque la nécessité de
garder la question nationale absolument ouverte. Évidemment, la discussion sur
les modalités de la souveraineté (frontières, armée, monnaie, etc.) et le contenu
de la constitution sera totalement ouverte. Il n’y a rien d’anti-démocratique à
remettre le projet de pays dans les mains de l’Assemblée constituante, car
ultimement c’est le peuple québécois qui décidera ou refusera de naître lors du
référendum sur la constitution.
La stratégie de
l’Assemblée constituante est extrêmement stimulante pour dynamiser la
mobilisation populaire et lier la question nationale au projet de société, mais
elle a été « importée » d’États déjà indépendants, comme la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela, adoptée en 1999. Comme le souligne Pierre Mouterde, « la difficulté réside
cependant dans le fait qu’il n’y a pas d’antécédents historiques sur lesquels
s’appuyer », car Québec solidaire propose de lier le processus
constitutionnel au processus constituant, c’est-à-dire l’indépendance. L’erreur
des adeptes de l’ouverture est de penser la constitution d’abord et le pays
après (si nécessaire), alors que les deux doivent être articulés dans un même
processus.
Une
question de mots?
L’interprétation
ouverte de l’Assemblée constituante est donc erronée, malgré sa noble intention
de rallier la plus large partie de la population, probablement effrayée par l’idée
d’indépendance. Même si le parti désire préserver la rhétorique de l’ouverture
pour des raisons électorales, il va tout de même devoir garantir que
l’Assemblée constituante rédigera la constitution d’un Québec souverain une
fois rendu au pouvoir, afin d’assurer l’effectivité minimale du processus.
Pourquoi alors ne pas être franc dès maintenant avec le peuple québécois, et
privilégier un discours émancipateur qui n’a pas peur des mots? C’est pourquoi
tout solidaire devrait lire ce puissant article d’Andrée Ferretti, Quand
le RIN devint parti politique, où en est notre nation, 50 ans plus tard ? :
« Le discours et l’action
indépendantistes ont aussi fait peur à la petite bourgeoisie nationaliste
canadienne-française. C’est pour contrer sa propre peur que celle-ci a donné
naissance à l’idée de souveraineté-association. Changement d’objectif traduit
et soutenu par un changement de mot. Car de toutes les peurs, la plus
paralysante est celle des mots. C’est cette peur qui, depuis plus de quarante
ans, fait dévier le peuple québécois du chemin de son indépendance politique,
car autant que de permettre la compréhension de ce qui est directement en
cause, le mot juste permet de formuler clairement les enjeux et de situer le
lieu exact du combat. […] Il fallait donc désamorcer ces mots dangereux qui
assuraient la fécondité des débats et des combats. Cela a commencé par la
substitution des mots « souveraineté-association » au mot « indépendance », du
mot « égalité » à celui de « liberté », s’est continué par la substitution des
mots « prise du pouvoir » à ceux de « lutte de libération nationale », des mots
campagne de financement à ceux de formation et de mobilisation politiques, pour
finir par la substitution du mot « bénévole » au mot « militant ». Sans oublier
la disparition dans le vocabulaire politique des mots « aliénation », «
domination » « exploitation », proclamés désuets. »
Indépendance et
révolution, indissociablement
Si l’interprétation prédominante de l’Assemblée
constituante au sein de Québec solidaire est celle de l’ouverture, du centre,
du consensus, un courant souterrain tente de ressurgir à la surface, en
replaçant la question nationale à gauche de l’échiquier politique. Bien que la
campagne médiatique du parti ait mis l’accent sur le « pays de
projets » et le processus constitutionnel, il ne faut pas oublier que le
programme « Un pays démocratique et pluriel » commence par la section
« Pour un Québec indépendant. » C’est elle qui donne le sens et le
principe directeur à l’Assemblée constituante, et non l’inverse. La
souveraineté populaire est le moyen
que se donnera le Québec pour acquérir son indépendance sociale, culturelle,
économique et politique, qui demeure l’ultime objectif du processus.
Cette indépendance totale, qui sera l’aboutissement
d’une lutte de libération nationale, implique une rupture avec la structure de
domination économique et politique actuelle. Un nouveau projet de société ne
peut émerger sans la réappropriation des outils nécessaires à sa réalisation. « Le fédéralisme canadien
est irréformable sur le fond. Il est impossible pour le Québec d’y obtenir
l’ensemble des pouvoirs auxquels il aspire, sans même parler de ceux qui
seraient nécessaires aux changements profonds proposés par Québec solidaire. Le
peuple québécois a donc à choisir entre la soumission à la règle de la majorité
canadienne impliquant subordination et uniformité politique, et l’exercice plein
et entier de la souveraineté politique. La question nationale est ainsi réduite
à sa plus simple expression: être une nation minoritaire dans l’État canadien
ou une nation qui décide de toutes ses orientations dans un Québec
indépendant. »
C’est pourquoi l’indépendance
n’est pas qu’une option facultative de l’Assemblée constituante, mais une
partie constitutive de celle-ci, permettant de déployer une pleine émancipation
sociale à travers l’exercice de la souveraineté populaire. L’interprétation
« ouverte » à une constitution simplement provinciale ne permet pas de réaliser cette finalité. Comme le dit encore une
fois Andrée Ferretti :
« Ce détournement du projet
de libération nationale au profit d’un réaménagement des relations entre le
Canada et le Québec, basé sur un partage différent des pouvoirs, était fondé
sur la crainte des élites, tant québécoises que canadiennes, que se produise le
changement radical de la société québécoise visé par le mouvement
indépendantiste. Car il s’agit bien de cela. Ce n’est pas le peuple qui
d’emblée a eu peur de l’indépendance, mais bel et bien tous les détenteurs d’un
quelconque pouvoir dans un domaine ou l’autre de notre société. Puisque, aussi
bien, le projet d’indépendance du Québec est un projet révolutionnaire en soi,
quels que soient les moyens pris pour le réaliser.
L’indépendance du Québec a en
effet pour objectif et pour conséquence le renversement de la structure des
pouvoirs du Canada tels qu’ils s’exercent d’un océan à l’autre, au service de
sa classe dominante, y compris de sa faction québécoise, nationaliste comme
fédéraliste, les intérêts des uns et des autres étant intégrés. L’indépendance
du Québec vise la dissolution radicale de la Loi constitutionnelle canadienne
qui fournit à cette classe les assises juridiques, politiques et
institutionnelles nécessaires au développement et à la défense de ses intérêts
particuliers, tous très largement contraires aux besoins et aspirations de la
nation québécoise, indissociablement liés à son identité, son histoire et sa
culture. »
Sur le plan de l'image et des perceptions, il sera toujours difficile de faire croire à un fédéraliste qu'une constituante mise en branle par un parti souverainiste puisse aboutir à une constitution provinciale. C'est toute la crédibilité de la démarche qui serait mise en question par ce simple fait. Cette constituante d'ouverture ne sera perçu et présenté que comme de l'hypocrisie par les fédéralistes les plus endurci du PLQ qui se serviront de ce manque de clarté pour garder les fédéralistes les plus modéré de leur coté. Ensuite, de l'autre coté de l'échiquier, il y aura toujours des souverainistes qui lave plus blanc que blanc qui laisserons sous entendre que la constituante d'ouverture n'est qu'une stratégie électoraliste pour attirer le vote des fédéralistes.
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