Le mur écologique
La principale limite de la
social-démocratie verte réside dans le fait que ce grand virage arrive quarante
années trop tard. Un Green New Deal
aurait dû être entrepris dès les années 1970, en prenant au sérieux les
avertissements du Club de Rome sur les limites de la croissance.
Malheureusement, la crise de la gauche, la restructuration postfordiste, la
mondialisation néolibérale et l’incapacité du mouvement écologiste à renverser
la vapeur auront retardé l’inévitable prise de conscience qui aurait peut-être
permis une transition en douceur vers une économie respectueuse de l’humain et
des écosystèmes.
« Le mouvement
environnemental a échoué, dit l’ex-commissaire au développement durable
québécois et « ex-environnementaliste », Harvey Mead. Plus de 40 ans après le
premier rapport du Club de Rome sur les limites de la croissance, on n’est
toujours pas parvenu à convaincre les populations et leurs dirigeants de
changer de paradigme économique. Il est désormais trop tard pour espérer
entreprendre un virage en douceur vers le développement durable et éviter la
collision avec la réalité. »
Les ravages de
l’austérité
En faisant abstraction des
limites écologiques que doit prendre en compte tout système économique, il est
clair que la perspective néo-keynésienne devient particulièrement pertinente
dans le contexte des mesures d’austérité qui frappent différents peuples dans
le monde. Des experts du FMI et des économistes éclairés comme Joseph Stiglitz
reconnaissent que l’austérité sous-estime l’effet multiplicateur en contexte de
crise, celle-ci aggravant non seulement les inégalités sociales, mais retardant
du même coup la reprise économique. Un simple cours de macro-économie montre
que la stabilisation du cycle économique doit se faire par un équilibre
budgétaire étendu dans le temps, et non par un déficit zéro court-termiste
comprimant les dépenses publiques en cas de stagnation ou de récession.
Au contraire, l’augmentation des
dépenses publiques doit avoir lieu précisément lorsque l’économie ralentit,
afin de compenser la crise et relancer la croissance, l’État devant ensuite se
retirer progressivement en laissant le marché prendre le relais. C’est pourquoi
la cure d’austérité imposée par le Parti québécois ne donne qu’une apparence de
gestion rigoureuse des deniers publics, alors que la réalité induite par cette
vision néolibérale génère des effets contre-productifs : la croissance
n’est pas au rendez-vous, et les revenus de l’État continuent de chuter. Qui
plus est, la rhétorique de la croissance comme condition de la prospérité
sociale préconisée par les élites économiques et politiques masque en fait une
stratégie de classe ; il peut y avoir accumulation du capital sans relance
économique et sans travail, via la financiarisation du capitalisme et les
paradis fiscaux. Nous pouvons même aller jusqu’à dire que le néolibéralisme
consiste à déployer un paradis fiscal non pas en dehors, mais à l’intérieur
même de la société !
Pour revenir à la question de la
social-démocratie verte, une croissance génératrice d’emplois par la modernisation
écologique des industries est incontestablement supérieure à l’austérité, qui
ne fait qu’accentuer la crise sociale, économique, politique et écologique. De
plus, la réduction des inégalités sociales et un virage vert sérieux permettent
de réduire significativement l’empreinte écologique d’un pays comme le
Danemark, par opposition à la société américaine qui conjugue inégalités,
stagnation et destruction de l’environnement. Paradoxalement, une croissance verte peut avoir une empreinte écologique moindre qu'une période d'austérité économique, car l'impact environnemental de l'économie n'est pas seulement fonction de la croissance des activités économiques, mais de la qualité de celles-ci. « On
sait pourtant – c’est un thème cher à Joseph Stiglitz – que la belle décennie
de croissance américaine entre 1998 et 2008 était selon lui un « mirage », en
ce sens que 90 % des Américains ont alors connu une décennie de stagnation ou
de déclin de leurs conditions de vie. Et que l’empreinte écologique et les
émissions de gaz à effet de serre par habitant ont poursuivi leur folle
progression alors que ce pays détient pourtant les records du monde « développé
» pour ces indicateurs de destruction massive de la planète. »
L’impossible
découplage
Pourtant, le meilleur Plan vert
de relance économique ne peut éviter la reprise de la croissance, c’est-à-dire
l’augmentation de la consommation matérielle de ressources. L’amélioration
significative de l’éco-efficience, c’est-à-dire l’utilisation optimale
d’énergie et de ressources naturelles par unité de produit, est malheureusement
contrebalancée par l’effet rebond.
Celui-ci fait en sorte que les gains
d’efficience prévus par l’introduction de nouvelles technologies vertes sont
compensés par l’augmentation de leur utilisation. Par exemple, la meilleure
performance des véhicules hybrides ne réduit pas la pollution, car les
utilisateurs profitent des économies d’argent pour faire des trajets plus longs
et s’installer plus loin de leur lieu de travail. C’est pourquoi l’efficience et
la productivité croissante de la modernisation industrielle n’ont pas contribué
à réduire, mais à augmenter la consommation globale de
ressources matérielles.
De plus, la dématérialisation
rendue possible par les nouvelles technologies d’information et de
communication (NTIC) n’a pas réussi à réduire de la consommation de matières
premières ou d’énergie, bien au contraire. L’émergence d’une économie de
l’immatériel accélère l’exploitation de ressources non renouvelables (métaux
rares), consomme énormément d’énergie (sept grammes d’émission de gaz
carbonique par recherche Google) et accroît l’énorme accumulation de déchets
électroniques. Tout cela est aggravé par le phénomène de l’obsolescence
programmée, provoquée par la forte compétitivité de ce secteur économique. Bien
qu’une politique social-démocrate verte pourrait mettre un frein à la
surproduction et surconsommation de marchandises électroniques, celles-ci
continueraient à progresser au-delà de la capacité de charge de la biosphère.
Si on accepte la thèse qu’il
n’est pas possible d’opérer le découplage matériel de l’économie, c’est-à-dire
la croissance et les conséquences environnementales du développement, et qu’il
n’est pas possible de substituer le capital naturel par du capital artificiel
(compensation des ressources non renouvelables par un fonds des générations ou
des gains de productivité), alors il faut conclure que le développement
économique sous toutes ses formes est, à
long terme, incompatible avec la préservation des écosystèmes. Ce raisonnement
implique le rejet de l’idée de la croissance matérielle infinie, qu’elle soit
basée sur un modèle économique inégalitaire (capitalisme libéral) ou égalitaire
(social-démocratie, socialisme).
« Actuellement, l’environnement
et l’économie sont fondamentalement irréconciliables. » [Harvey Mead] juge tout
aussi sévèrement tous ces environnementalistes qui affirment qu’une poursuite
de la croissance économique est possible si l’on entreprend une révolution
industrielle verte qui s’appuierait, entre autres, sur les sources d’énergie
renouvelables et sur des procédés de production tenant compte du cycle de vie
des biens. « Il est trop tard pour cela. On n’a plus le temps »,
croit-il. »
Gagner du temps
pour la transition écologique
Si l’austérité est intolérable et
la croissance verte reste non viable à long terme, sommes-nous condamnés à la
fatalité de l’effondrement du système économique mondial ? Si les États
n’ont presque aucune chance d’opérer un changement de cap prochainement,
devons-nous nous résigner à « sauver les meubles », construire des
abris et nous replier dans un survivalisme
généralisé ? Bien sûr que non ! L’important est de donner un sens au virage vert, c’est-à-dire le
considérer comme une transition orientée vers un autre type de société qu’il
s’agit de construire. L’important est de concevoir le Plan vert comme un
tremplin, « un programme de transition visant
à définir les bases d'une nouvelle société post-capitaliste », pour
reprendre les mots d’Andrés Fontecilla.
En fait, ce grand
plan de modernisation écologique de l’économie provoquera inéluctablement la
croissance du PIB, de sorte qu’il ne peut pas représenter une solution
définitive à la crise environnementale. Le mur écologique, situé autour de
2025-2030 selon les prédictions du Club de Rome (dont les données ont été
corroborées depuis les quarante dernières années), représente l’horizon
temporel du Plan vert. Nous devrons ainsi entreprendre une véritable transition
civilisationnelle d’ici les quinze prochaines années ! La restructuration
des villes, des transports, des infrastructures alimentaires, énergétiques et
industrielles permettra de nous préparer à la descente énergétique, afin qu’elle soit juste et démocratiquement
planifiée.
Il n’est donc pas
question de relancer l’économie en augmentant le pouvoir d’achat afin de
consommer de nouvelles marchandises vertes ; il s’agit avant tout de gagner du temps, de libérer de nouvelles
initiatives personnelles et collectives, des coopératives et d’autres
inventions qui renforceront la résilience locale et nationale. C’est pourquoi il est essentiel
de sortir du paradigme de la social-démocratie verte et de prendre la
transition écologique vers une société postcapitaliste comme le véritable
objectif de ce projet. Comme le dit André Gorz : « il est temps de penser à l’envers :
de définir les changements à réaliser en partant du but ultime à atteindre et
non les buts en partant des moyens disponibles, des replâtrages immédiatement
réalisables. »
Réforme sociale ou
révolution ?
Définir l’orientation du Plan
vert à partir du but ultime, c’est-à-dire le dépassement du capitalisme,
présuppose une critique du réformisme. Les réformes proposées par Québec
solidaire ne s’opposent pas à la révolution sociale, mais doivent être conçues
comme les moyens d’une lutte
politique visant le renversement de l’ordre établi. « Pour la
social-démocratie, lutter à l’intérieur même du système existant, jour après
jour, pour les réformes, pour l’amélioration de la situation des travailleurs,
pour des institutions démocratiques, c’est la seule manière d’engager la lutte
de classe prolétarienne et de s’orienter vers le but final, c’est-à-dire de
travailler à conquérir le pouvoir politique et à abolir le système du salaire.
Entre la réforme sociale et la révolution, la social-démocratie voit un lien
indissoluble : la lutte pour la réforme étant le moyen, et la révolution
sociale le but. »
Cette interprétation
luxemburgiste de la social-démocratie se rapproche davantage du marxisme
révolutionnaire et de l’écosocialisme que des partis réformistes qui ont fleuri
au XXe siècle sous l’influence de la pratique opportuniste et de la
pensée d’Eduard Bernstein. « Sa théorie tout entière tend pratiquement à
une seule chose : à nous faire abandonner le but final de la
social-démocratie, la révolution sociale, et à faire inversement de la réforme
sociale, simple moyen de la lutte de classe, son but ultime. Bernstein lui-même
a formulé ses opinions de la façon la plus nette et la plus caractéristique,
écrivant : " Le but final, quel qu’il soit, n’est rien, le
mouvement est tout ". »
Malgré la critique théorique
foudroyante de Luxemburg, le réformisme a continué de rayonner dans la majorité
des partis de gauche jusqu’à aujourd’hui. D’après Pierre Rosanvallon dans La société des égaux (2012), « Bernstein
perdra la bataille idéologique dans les congrès de la social-démocratie. Mais
il triomphera dans les faits, les partis socialistes se fixant à partir de ce
début du XXe siècle des objectifs réformateurs pratiques. » C’est pourquoi il
est essentiel de rappeler certains éléments clés de cette critique, notamment les
limites de l’économie coopérative et du syndicalisme.
Les limites du
coopérativisme
Tout d’abord, le Plan vert
cherche à développer le domaine de l’économie sociale et solidaire par le biais
des entreprises collectives comme les coopératives. Malheureusement, celles-ci
demeurent des entreprises démocratiques dominées par des échanges marchands,
c’est-à-dire des unités de production situées dans une économie de marché. Les
coopératives doivent intérioriser les normes capitalistes de rendement et de
compétitivité afin d’assurer leur survie. « Pratiquement, cela se traduit
par la nécessité d’intensifier le travail, d’en raccourcir ou d’en prolonger la
durée selon la conjoncture, d’embaucher ou de licencier la force de travail
selon les besoins du marché, en un mot de pratiquer toutes méthodes bien
connues qui permettent à une entreprise capitaliste de soutenir la concurrence
des autres entreprises. D’où, pour la coopérative de production, la nécessité,
contradictoire pour les ouvriers, de se gouverner eux-mêmes avec toute
l’autorité absolue nécessaire et de jouer vis-à-vis d’eux-mêmes le rôle
d’entrepreneurs capitalistes. »
Pour surmonter cette
contradiction entre le mode de production démocratique et le mode d’échange
capitaliste, la coopérative doit se soustraire artificiellement à la
concurrence en créant son propre marché, par le biais d’un réseau de
consommateurs. D’où l’importance des coopératives de consommation et de
solidarité, généralement plus durables que les simples coopératives de
travailleurs. « On constate donc que l’existence des coopératives de
production est liée actuellement à l’existence des coopératives de consommation
; il en résulte que les coopératives de production doivent se contenter, dans
le meilleur des cas, de petits débouchés locaux et qu’elles se limitent à
quelques produits de première nécessité, de préférence aux produits
alimentaires. Toutes les branches les plus importantes de la production
capitaliste : l’industrie textile, minière, métallurgique, pétrolifère, ainsi
que l’industrie de construction de machines, des locomotives et des navires
sont exclues d’avance de la coopérative de consommation et, par conséquent, des
coopératives de production. »
Un contre-exemple important à ce
diagnostic est celui de la Corporation Mondragon au Pays basque, gigantesque
système coopératif qui regroupe 256 entreprises dans quatre secteurs :
finance, industrie, distribution, recherche et développement. Né des idées
mutualistes et autogestionnaires du jeune vicaire de paroisse José María
Arizmendiarrieta en 1956, Mondragon représente aujourd’hui le plus grand groupe
industriel basque (environ 100 000 employé-es). Bien que ce modèle soit vanté
partout dans le monde par les adeptes de l’économie sociale, il demeure
néanmoins difficilement exportable. La raison de ce succès local est
probablement le développement d’un système intercoopératif très sophistiqué à
l’intérieur d’un contexte social particulier, tout comme l’exemple du budget
participatif de Porto Alegre qui fut le résultat de conjonctures
exceptionnelles. D’où les tentatives généralement infructueuses et
caricaturales d’imitation de ce modèle ailleurs dans le monde.
La perspective de Rosa Luxemburg
demeure valide en ce qui concerne le développement des coopératives à
l’intérieur d’une économie capitaliste. L’économie sociale fleurit déjà à
l’intérieur du système actuel. Elle constitue la béquille du mode de production dominant, au même titre que
l’économie domestique qui assure la reproduction sociale. S’il faut cesser de
voir les coopératives et le milieu communautaire comme la roue de secours
permettant d’assurer la cohésion sociale, c’est d’abord en reconnaissant que ce
domaine est actuellement subordonné à l’économie de marché. L’économie sociale
plafonne, tout comme le marché du biologique et du commerce équitable, qui ne
font pas le poids devant la domination des firmes multinationales. « De ce
fait, la réforme socialiste basée sur le système des coopératives abandonne la
lutte contre le capital de production, c’est-à-dire contre la branche maîtresse
de l’économie capitaliste, et se contente de diriger ses coups contre un
capital commercial, et plus exactement le petit et le moyen capital commercial
; elle ne s’attaque plus qu’aux branches secondaires du tronc
capitaliste. »
La faiblesse
congénitale du syndicalisme
Nul ne peut nier la faiblesse
actuelle du mouvement syndical. Celle-ci peut être expliquée par la férocité de
la restructuration économique postfordiste, les nombreuses lois anti-syndicales
imposées par les gouvernements des années 1980 à aujourd’hui, l'idéologie néolibérale et libertarienne, puis le retrait
progressif du syndicalisme de combat au profit d’un concertationnisme entre
l’État, les centrales syndicales et le patronat. Néanmoins, ces explications
historiques et contingentes n’éclairent pas la raison fondamentale pour
laquelle le syndicalisme, même vigoureux, n’a pas la capacité de renverser, par
lui-même, le capitalisme.
« Les syndicats servent le
prolétariat en utilisant dans leur propre intérêt, à chaque instant, ces
conjonctures du marché. Mais ces conjonctures elles-mêmes, c’est-à-dire d’une
part la demande de force de travail déterminée par l’état de la production, et
d’autre part l’offre de force de travail créée par la prolétarisation des
classes moyennes et la reproduction naturelle de la classe ouvrière, enfin le
degré de productivité du travail sont situées en dehors de la sphère
d’influence des syndicats. Aussi ces éléments ne peuvent-ils pas supprimer la
loi des salaires. Ils peuvent, dans le meilleur des cas, maintenir
l’exploitation capitaliste à l’intérieur des limites "normales"
dictées à chaque instant par la conjoncture, mais ils sont absolument hors
d’état de supprimer l’exploitation elle-même, même progressivement. »
En d’autres termes, si les
syndicats ont un rôle essentiel à jouer dans l’amélioration des conditions de
vie de la classe ouvrière, il est contre-intuitif pour eux de lutter pour la
réduction du temps de travail, pour le revenu minimum garanti, et a fortiori pour l’abolition du salariat.
De plus, une transition écologique qui impliquerait la fermeture de centrales
nucléaires, de raffineries, d’usines d’automobiles, d’industries minières et
d’autres secteurs nuisibles pour l’environnement, ne manquerait de susciter de
vives réactions chez les travailleurs et syndicats affectés par ces mesures. Cela ne représente pas une situation insoluble, mais manifeste la
nécessité de conscientiser le mouvement ouvrier et de proposer des mesures
sociales et économiques permettant la reconversion écologique et systématique
des emplois sales en emplois verts. Des syndicats pourraient lutter en ce sens,
et plusieurs le réclament déjà à travers la notion de « transition
juste ». Il n’en demeure pas moins que ceux-ci luttent avant tout pour des
emplois, et non pour l’abolition du capitalisme.
Entre
production et répartition
La question centrale est de
savoir si le but ultime du Plan vert
consiste à améliorer la manière dont la richesse est répartie entre les différents
secteurs de la société, ou plutôt à transformer le mode de production
économique lui-même. Le premier objectif renvoie à la question de la
redistribution, comme la fiscalité progressive (redevances), la sécurité
sociale (revenu minimum garanti), les services publics et la régulation du
capitalisme par des incitatifs économiques (chantier d’efficacité énergétique), tandis que le second objectif s’attaque aux relations de production comme les
rapports de propriété, la démocratisation de la planification économique, etc.
Vraisemblablement, le second objectif n’apparaît pas dans le Plan vert mais
dans le programme de Québec solidaire qui vise, à long terme, la socialisation
de l’économie. Malheureusement, les coopératives, le mouvement syndical et les
réformes sociales sont incapables, en eux-mêmes, de transformer le mode de production capitaliste.
« Bernstein en a lui-même
une conscience plus ou moins claire ; il ne les regarde que comme des moyens de
réduire le profit capitaliste et d’enrichir les ouvriers, ce qui revient à
renoncer à lutter contre le mode de production capitaliste ; il oriente le
mouvement socialiste vers la lutte contre le mode de répartition capitaliste.
[…] Il est vrai que l’aiguillon qui pousse d’abord vers le mouvement socialiste
les masses populaires, c’est le mode de répartition "injuste" du
régime capitaliste. En luttant pour la socialisation de toute l’économie, la
social-démocratie témoigne en même temps de son aspiration naturelle à une
répartition "juste" de la richesse sociale. Mais nous avons appris,
grâce à Marx, que le mode de répartition d’une époque déterminée n’est que la
conséquence naturelle du mode de production de cette époque : en conséquence,
la social-démocratie intensifie sa lutte non pas contre le système de la
répartition dans le cadre de la production capitaliste, elle vise à
supprimer la production marchande capitaliste elle-même. En un mot, la
social-démocratie veut établir un mode de répartition socialiste en supprimant
le mode de production capitaliste, tandis que la méthode bernsteinienne
consiste à l’inverse à combattre le mode de répartition capitaliste dans
l’espoir d’arriver à établir progressivement par ce moyen même, un mode de
production socialiste. »
Luxemburg ne croit pas qu’il soit
possible de socialiser complètement l’économie par une série de réformes
successives luttant contre le mode de répartition capitaliste. De plus, il
serait faux de croire qu’une réforme représente une sorte de « révolution
diluée dans le temps, et la révolution comme une réforme condensée. Une
révolution sociale et une réforme légale ne sont pas des éléments distincts par
leur durée, mais par leur contenu ; tout le secret des révolutions
historiques, de la prise du pouvoir politique, est précisément dans le passage
de simples modifications quantitatives en une qualité nouvelle ou, pour parler
concrètement, dans le passage d’une période historique d’une forme de société
donnée à une autre. Quiconque se prononce en faveur de la réforme légale, au
lieu et à l’encontre de la conquête du pouvoir politique et de la révolution
sociale, ne choisit pas en réalité une voie plus paisible, plus sûre et plus
lente conduisant au même but ; il a en vue un but différent : au lieu de
l’instauration d’une société nouvelle, il se contente de modifications
superficielles apportées à l’ancienne société. Ainsi les thèses politiques du
révisionnisme conduisent-elles à la même conclusion que ses théories économiques.
Elles ne visent pas, au fond, à réaliser l’ordre socialiste, mais à réformer
l’ordre capitaliste, elles ne cherchent pas à abolir le système du salariat,
mais à doser ou à atténuer l’exploitation, en un mot elles veulent supprimer
les abus du capitalisme et non le capitalisme lui-même. »
Si nous voulons affronter
sérieusement les défis de la crise sociale, politique, économique et
environnementale actuelle, nous devons prendre au sérieux la sortie de la
croissance et le dépassement du système qui nous propulse tout droit vers le
mur écologique. C’est pourquoi une véritable transition ne peut être le fruit
que d’une synthèse entre l’écologie anti-capitaliste et la gauche
anti-productiviste. Un Plan vert qui ne remet pas en question les bases du capitalisme
reste limité à l’approche honorable mais vaine de la social-démocratie
verte. L’émancipation sociale contenue en germe dans la transition
écologique ne peut être déployée qu’à travers un projet global et
radical, comme une chair rouge sucrée enveloppée dans un manteau vert : l'écosocialisme.
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