L’indépendance n’est pas la souveraineté !
Ceci n’est pas un billet de blog, mais une critique du souverainisme
et l’esquisse d’une stratégie pour l’indépendance populaire.
Le 6 avril 2013, la phase II des
États généraux sur la souveraineté du Québec a permis d’éclaircir les termes du
débat concernant les ententes électorales et le futur congrès de Convergence
nationale qui aura lieu le 25 mai 2013. Trois ateliers de réflexion sur le
pouvoir constituant, l’argumentaire économique et la mobilisation visaient à
suggérer un ensemble de propositions devant être adoptées par une assemblée
plénière transpartisane, composée majoritairement des membres du Parti
québécois (environ deux tiers), Option nationale (environ un tiers) et Québec
solidaire (moins de 3%). Les propositions qui ont été adoptées et rejetées en
disent long sur le réalignement des forces souverainistes à l’heure actuelle.
Une souveraineté
pseudo-populaire
Le premier chantier concernant la
souveraineté populaire et le pouvoir constituant accoucha d’une
proposition visant « à proposer eu peuple québécois et éventuellement
à l’Assemblée nationale, des modalités d’une démarche constituante par lequel
le peuple québécois se dotera de sa propre constitution ». Si cette idée
rappelle l’Assemblée constituante préconisée par Québec solidaire, il n’en est
rien ; elle renvoie davantage à la consultation populaire préconisée par
le Parti québécois et Option nationale pour la rédaction de la constitution du
Québec. En fait, elle reste ouverte à une consultation publique accompagnée
d’experts en la matière, privilégiant ainsi la souveraineté nationale
(prédominance de l’État) à la souveraineté populaire (autorité du peuple
québécois).
En fait, l’assemblée plénière des
États généraux sur la souveraineté a rejeté l’amendement suivant à majorité :
« à proposer eu peuple québécois et éventuellement à l’Assemblée
nationale, des modalités d’une démarche constituante assemblée citoyenne démocratiquement élue et
indépendante par lequel le peuple québécois se dotera de sa propre
constitution ». Les arguments en défaveur de l’amendement soutenaient
qu’il s’agissait d’une précision inutile, d’une question de procédures ou d’une
conception trop hâtive qui ne faisait pas consensus. Or, la souveraineté
populaire stipule que c’est le peuple québécois, à travers l’élection de
représentant·e·s élu·e·s au suffrage universel, et non certaines élites
économiques et politiques, qui doivent élaborer la loi fondamentale d’un Québec
indépendant.
Par ailleurs, une proposition
d’amendement concernant l’inclusion formelle de la place des femmes dans la
démarche constituante, par l’emploi du masculin et du féminin dans le discours
par exemple, a été fortement rejetée après plusieurs interventions viscérales
et anti-féministes. Malheureusement, il semble que la moyenne d’âge des
participant·e·s, la faible présence des femmes (moins de 20%), et le gros bon sens ont pris le dessus sur
certaines considérations fondamentales en matière d’égalité et d’inclusion
sociale.
La tentation
indépendantiste
D’un autre côté, le troisième
chantier avait comme objectif de
« nourrir un plan d’action et de mobilisation et de promotion de la
souveraineté dans la société civile, prise en charge par le Conseil de la
souveraineté ». L’assemblée générale décida de rendre les États généraux
permanents et de former un comité national de communication et de mobilisation,
dans une perspective de renouvellement du discours souverainiste. La porte-parole de la
Commission nationale des États généraux, Tania Kontoyanni, a résumé l’atelier
sur la mobilisation de la manière suivante : « On doit parler d’indépendance plutôt que
de souveraineté. L’expression « Québécois de souche » est à bannir ; on doit
aussi oublier le mot « référendum », a-t-elle dit, sans indiquer comment ce
concept devrait désormais être nommé. »
Bernard Landry n’hésita pas à apporter
de l’eau au moulin en donnant davantage de poids à la jeunesse,
l’internationalisme, l’indépendantisme, une conception moderne et inclusive de
la nation. « Utilisons les bons mots. Regardons les choses en face : nous voulons
l’indépendance nationale » a-t-il dit. Cette prise de conscience est
certes le signe d’un certain regain de la question nationale, qui ne doit plus
être affublée d’euphémismes comme la « souveraineté-association » ou
la « gouvernance souverainiste ».
Du vieux vin dans
de nouvelles bouteilles
Mais derrière cette volonté de
renouveler le discours et de développer la pédagogie
indépendantiste, se cache une mise à l’écart du véritable sens de l’indépendance.
Tout porte à croire que l’on conserve en fait un souverainisme archaïque en le
vêtissant d’habits indépendantistes. Cette hypothèse peut être vérifiée par le
fait que les États généraux sur la souveraineté
sont organisés par le Conseil de la souveraineté
du Québec, l’autonomie formelle de cette organisation laissant tout de même
transparaître l’hégémonie du discours souverainiste du Parti québécois. De
surcroît, le rejet de l’assemblée citoyenne démocratiquement élue et de
l’inclusion des femmes, la volonté de faire la souveraineté par-delà l’axe
gauche/droite, ainsi que l’absence d’un réel discours indépendantiste, tous ces
facteurs témoignent d’une emprise bien réelle de l’idéologie péquiste sur
l’ensemble du mouvement souverainiste.
Cette idéologie renvoie au
nationalisme traditionnel, qui « limite ses luttes à la sauvegarde de la
langue et des autres spécificités de la culture nationale, alors que
l’indépendantisme vise l’émancipation
politique, économique, sociale, autant que culturelle, de la nation en la
dotant d’un État libre et indépendant », selon Andrée Ferretti et Gaston
Miron. Le souverainisme sous-jacent à l’idée de la Convergence nationale tente
de recréer l’unité péquiste à l’extérieur de ce parti, sachant très bien que le
PQ ne pourra plus jamais avoir le monopole sur la question nationale. La
pédagogie souverainiste version Aussant
ou indépendantiste version Landry ne
pourront pas changer fondamentalement ce biais initial. Cette tentative ne fait
qu’ajouter à l’identité nationale quelques arguments économiques visant à
convaincre rationnellement les homo
economicus qui ne se reconnaîtraient pas d’emblée dans la nation
québécoise.
Bien que l’appartenance à une
culture commune et quelques arguments touchant le portefeuille des individus
peuvent aider à recruter de nouveaux adeptes à la cause souverainiste, l’essentiel
de l’indépendance du Québec se trouve évacué. Il ne s’agit pas tant de changer de pays que de changer le pays à travers un processus
d’émancipation politique, économique et social. Il s’agit de changer les
conditions de vie, les conditions matérielles des individus et communautés
opprimés par la domination sociale et nationale actuelle. C’est pourquoi il ne
suffit pas de vouloir l’indépendance nationale tout en cherchant à conserver la
société québécoise telle quelle est. Le renversement du rapport de domination
de l’État canadien, l’instauration de nouvelles institutions politiques, la
réappropriation des pouvoirs législatifs, fiscaux et internationaux ne peuvent
pas ne pas modifier les rapports sociaux dans la transition d’un Québec opprimé
à un État libre et indépendant.
Ni gauche, ni
droite ?
Le principal préjugé
nationaliste, souverainiste ou anti-indépendantiste, c’est la croyance dans le
fait que l’indépendance n’est ni à gauche, ni à droite, mais avant toute chose.
D’ici là, rien ne sert de faire de la lutte à la pauvreté ou la justice sociale
une priorité nationale, parce que de toute façon il sera impossible de changer
les choses tant que le LIT ne sera pas réalisé. L’argument ontologique selon lequel avant d’être de gauche ou de droite, il faut d’abord Être, est tout simplement faux. Cette
idée est réfutée par le simple fait que le Québec n’est pas rien, car c’est une société et une
nation en devenir même si elle ne s’est pas encore dotée d’un État pleinement
indépendant. De plus, la simple souveraineté de l’État québécois (souveraineté
nationale) ne permet pas de garantir l’indépendance réelle du Québec, que ce
soit au niveau énergétique, alimentaire, économique, etc. À ce titre, il faut
préciser que l’indépendance économique ne renvoie pas à l’autarcie de certains
régimes totalitaires, mais à la souveraineté populaire en matière économique,
c’est-à-dire à la démocratisation de l’économie qui est à cent mille lieux du
discours libre échangiste prôné par la majorité des souverainistes. Ainsi,
l’argument d’Aussant est bêtement fallacieux : « aucun pays au monde
n’est indépendant au sens propre du terme (la Corée du Nord s’en rapproche,
mais ce n’est pas mon modèle) ».
C’est pourquoi l’indépendance
dépasse la souveraineté et l’inclut comme un moment d’un processus d’émancipation nationale. En termes
hégéliens, il faut passer de la souveraineté en soi (le LIT) à la souveraineté en soi et pour soi, le pour
soi représentant ici le peuple québécois. L’indépendance se base donc sur
la souveraineté populaire, alors que la souveraineté stricto sensu se limite à la souveraineté nationale, c’est-à-dire à
la question de l’État. La souveraineté populaire ne peut être le fruit que
d’une Assemblée constituante, dont l’objectif de réalisation de l’indépendance
passera à travers le processus de constitution qui fournira le principe
fondateur sur lequel sera établi le nouveau pays du Québec. Il ne peut pas y
avoir d’indépendance sans un projet
de pays, et un projet de pays substantiel ne peut être dissocié d’un projet de société. Alors que le discours
souverainiste tente par tous les moyens de trouver le plus petit dénominateur
commun qui pourra faire consensus (la souveraineté d’abord, la constitution
ensuite), le discours indépendantiste assume le caractère transformateur d’une
telle aventure. L’indépendance est un projet de transformation politique et
sociale, parce qu’il comprend à la fois une réappropriation substantielle des
pouvoirs politiques (la souveraineté) et un projet de société fondé sur
l’élaboration de valeurs incarnées dans une loi fondamentale (la constitution),
dans un même processus dynamique.
Enfin, l’indépendantisme insiste
sur la rupture qui sera initiée dès
l’enclenchement de l’Assemblée constituante. Celle-ci suspendra de facto les mécanismes de réforme
constitutionnelle prévue par l’Acte d’Amérique du Nord britannique. Écrire une
constitution du Québec par le biais de la souveraineté populaire représente
donc un acte anti-constitutionnel qui devra être assumé comme tel. Cette indépendance en acte brisera le statu
quo du régime fédéral canadien sans que nous puissions déterminer à l’avance le
résultat d’une telle césure juridico-politique. Si nous définissons la gauche
comme une famille politique rassemblant des forces faisant la promotion
d’idéaux progressistes et égalitaires, la critique de l’ordre établi et la
nécessité d’une plus grande justice sociale, alors nous voyons clairement que
la droite ne peut être que pour la défense du statu quo, que ce soit au niveau
économique (libéralisme) ou social (conservatisme).
Autrement dit, la gauche comprend
non seulement la social-démocratie, le radicalisme, le socialisme, le
communisme et l’anarchisme, mais l’indépendantisme, alors que la droite
rassemble non seulement le libéralisme économique, le libertarianisme, le conservatisme
et le fascisme, mais aussi le nationalisme au sens étroit du terme. Cette
conception bien comprise de l’échiquier politique permet de rejeter l’argument
selon lequel le projet d’indépendance ne devrait pas se limiter à la gauche ou
à la classe ouvrière mais réunir tout le peuple québécois dans une même
cause ; c'est évident. Il faut également spécifier que la droite ne
renvoie pas à la subjectivité, c’est-à-dire aux individus qui votent à droite souvent
contre leur intérêt objectif, mais à la conservation de l’ordre socioéconomique
existant qui favorise l’oligarchie financière. Le nationalisme qui souhaite une libération politique tout en
conservant l’ordre social actuel préservera les privilèges d’une élite économique et technocratique contre les intérêts du peuple
québécois.
Marxistes
orthodoxes et nationalistes, même combat !
Ce n’est pas un hasard si Andrée
Ferretti, ancienne militante de « l’aile de la rue » du Rassemblement
pour l’indépendance nationale (RIN), était à la fois indépendantiste, marxiste
et féministe. « J’ai toujours pensé, et je pense encore, que, pour être
victorieuse, la lutte pour l’indépendance doit être essentiellement une lutte
de libération nationale, donc une lutte révolutionnaire puisque son objectif
l’est, visant le renversement de l’ordre établi par la canadian democracy. Autrement dit, j’ai toujours pensé que le
mouvement pour l’indépendance ne saurait se constituer en parti qu’au moment où
la majorité du peuple aura été convaincue de son absolue nécessité et prête à
la réaliser et à l’assumer. »
L’indépendantisme des années 1960
et 1970, qui assurait jadis une véritable synthèse de la question sociale et
nationale, fut ensuite fragmenté en deux camps : la voie électoraliste de Pierre Bourgault mena à
la dissolution du RIN et au ralliement au projet de souveraineté-association de
René Lévesque, alors que la voie socialiste
des groupes marxistes-léninistes comme En lutte ! mit entre parenthèses la
question nationale pour se concentrer sur la lutte des classes à l’échelle
pancanadienne. L’une comme l’autre préconisait une approche hiérarchiste, c’est-à-dire la
détermination d’une priorité ultime devant ravaler les autres types de lutte.
Résultat : le souverainisme nationaliste mena au recul social des trente
dernières années en laissant fleurir le concertationnisme et le néolibéralisme,
tandis que la gauche révolutionnaire préconisa l’orthodoxie marxiste au détriment
de la question féministe, écologiste et nationale, provocant ainsi l’éclatement
de la gauche radicale au début des années 1980.
Il faut maintenant reconnaître
que nous ne pourrons pas résoudre la question sociale sans passer par la voie
obligée de l’indépendance, et que la lutte pour la libération nationale ne
pourra plus se tenir au-dessus des autres types de revendications, qu’elles
soient étudiantes, autochtones, féministes, écologistes ou altermondialistes.
Le discours sur la primauté de la « lutte des classes » ou le mythe
de la « grande famille souverainiste » n’auront plus jamais
l’hégémonie sur les mouvements sociaux, et c’est bon débarras. L’éclatement de
la société postmoderne place le Québec devant une situation nouvelle, mais pas
désespérée. Nous ne sommes pas condamnés à la fragmentation et la dispersion
des luttes, bien que l’unité originaire ne pourra jamais être retrouvée comme
telle. Le travail du mouvement d’émancipation consiste à recomposer les luttes,
c’est-à-dire à réarticuler les mouvements sociaux à travers une chaîne
d’équivalence, capables de faire tenir ensemble une pluralité de revendications
contre un adversaire commun. L’unité
populaire dont parle Gramsci repose sur la construction d’un bloc historique capable de renverser
l’ordre établi, et sur la nécessité de déconstruire l’hégémonie de la classe
dirigeante et possédante, qu’elle soit fédérale ou nationale.
L’impérialisme
canadien
Curieusement, le néolibéralisme
dans sa forme actuelle rappelle à plusieurs titres l’impérialisme que décrivait
Lénine au début du siècle : « L'impérialisme est le capitalisme
arrivé à un stade de développement où s'est affirmée la domination des
monopoles et du capital financier, où l'exportation des capitaux a acquis une
importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts
internationaux et où s'est achevé le partage de tout le territoire du globe
entre les plus grands pays capitalistes. »
Si plusieurs croient que
l’impérialisme est pratiquement disparu depuis les succès des luttes de
décolonisation au XXe siècle, c’est probablement à cause d’une
compréhension purement politique ou étatique du phénomène impérialiste. Si le
Québec n’a pas été assimilé et a réussi à gagner une certaine autonomie
politique, ce n’est pas une simple souveraineté étatique qui lui permettra
d’échapper à la domination économique du Canada, des États-Unis et des firmes
multinationales. En fait, le signe le plus manifeste de l’impérialisme canadien
se retrouve dans la question de l’exploitation des ressources naturelles, que
ce soit au niveau des mines, des sables bitumineux, et de l’oligarchie
financière torontoise qui permet aux compagnies minières d’exploiter sans
vergogne les provinces comme le Québec et les pays du Sud. Le livre Paradis sous terre. Comment le Canada est devenu la plaque tournante de l’industrie minière
mondiale, d’Alain Deneault et William Sacher n’est pas qu’un petit pamphlet
anodin publié chez Écosociété ; c’est une démonstration théorique et pratique
de l’impérialisme canadien, tant à l’interne qu’à l’étranger, et de son
articulation étroite au capitalisme financiarisé.
Ce n’est pas un hasard si Richard
Desjardins ne vote pas pour le Parti québécois mais appuie Québec
solidaire ; le PQ est un parti néo-colonialiste qui reproduit le schème
extractiviste de l’impérialisme canadien, que ce soit par sa reprise du
« Nord pour tous », son ouverture à l’industrie destructrice des sables
bitumineux par l’inversion du pipeline 9 d’Enbridge et le projet de
construction de l’oléoduc de TransCanada dans le Bas-Saint-Laurent, ou encore
son appui inconditionnel à l’exploitation pétrolière en Gaspésie, sur l’île
d’Anticosti et à Old Harry. Malheureusement, la position
pro-pétrole du PQ fera en sorte que les écologistes et les citoyen·ne·s n'auront pas un
mais deux ennemis à combattre : le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. Une commission nationale d’examen,
fer de lance de l’approche concertationniste de la « gouvernance
souverainiste », ne pourra plus masquer le fait que le souverainisme
officiel n’est pas autre chose qu’une renégociation des termes de notre
dépendance nationale, économique et sociale. À quoi sert de sacrifier le
« pays réel » pour le « pays mythique », pour reprendre les
mots de Gérard Beaudet ?
Québec
solidaire et l’oubli de l’indépendance
Québec solidaire n’est pas
suffisamment indépendantiste. Sa position sur la question nationale est sur le
bon chemin, mais elle demeure ambigüe. Elle est certainement plus démocratique
qu’Option nationale et le Parti québécois, mais elle n’est pas assez affirmée
sur le plan discursif et pratique. Elle est potentiellement plus radicale que
celle de ses homologues, mais elle doit pour cela être clarifiée et assumée
comme un axe structurant de son programme. Québec solidaire est virtuellement le grand parti
indépendantiste que le Québec n’a jamais réussi à se doter, et il doit
maintenant le devenir.
D’une part, Québec solidaire se
définit d’abord comme un parti de
gauche féministe, écologiste et altermondialiste. C’est pour cette raison qu’il
est également en faveur de l’indépendance du Québec, qui représente le meilleur
moyen de concrétiser son projet de
société, tout en protégeant la langue et la culture spécifique du peuple
québécois. Pourquoi ne pas faire de l’indépendance une valeur constitutive de
Québec solidaire, que le parti mettrait sur un pied d’égalité aux autres
piliers du parti? Par exemple, QS pourrait se
définir comme un parti de gauche indépendantiste, féministe, écologiste,
démocratique et altermondialiste. L’indépendance n’est pas que le tremplin vers
une nouvelle société, elle fait partie
du projet de société! Bien que la souveraineté soit incluse dans la Déclaration
de principes du parti (nous sommes écologistes, de gauche, démocrates,
féministes, pluralistes, altermondialistes et souverainistes), je suis presque
tombé de ma chaise en lisant les objectifs et valeurs fondatrices inscrites
dans les statuts et règlements du parti adoptés par le congrès du 28 avril
2012 :
« Québec solidaire œuvre sur la scène
québécoise et présentera des candidates et candidats aux élections dans le but
de faire élire des députées et députés à l'Assemblée nationale et de former éventuellement
un gouvernement de gauche. Se démarquant des partis actuellement représentés à
l'Assemblée nationale, Québec solidaire rejette clairement le néolibéralisme et
propose une alternative politique fondée sur des valeurs progressistes telles
que : la justice sociale et un partage équitable de la richesse, l'égalité
entre les femmes et les hommes, le développement viable, l'élimination du
racisme, le pacifisme, la solidarité entre les peuples. Québec solidaire se
veut un parti démocratique, qui favorise la prise de parole et l'influence
réelle de ses membres, y compris celle des femmes et des sans voix, et qui met
toutes les instances du parti à contribution. De ce fait, le parti s’inspire
des principes de démocratie participative. Québec solidaire est pluraliste,
c’est-à-dire qu’il permet la participation et l’expression plurielles des
personnes, des collectifs, des différents points de vue et sensibilités dans un
esprit d’unité. Il est égalitaire et vise une représentation paritaire des
femmes et des hommes à tous les niveaux. Tout en favorisant la promotion de
politiques qui visent l’exercice universel des droits et le bien commun, Québec
solidaire tient compte de la diversité des besoins, des réalités et des
identités, y compris régionales. Il est inclusif et favorise, en son sein, la
présence notamment des jeunes, des communautés culturelles et des personnes
handicapées. Québec solidaire est actif sur le terrain électoral. Il s’engage
également sur le terrain des luttes sociales. Il s'inspire des revendications
des mouvements sociaux et environnementaux progressistes, tout en reconnaissant
l'indépendance respective du parti et de ces mouvements. »
Mais où est passé l’axe souverainiste de la
déclaration de principes de Québec solidaire ? Même s’il est trop tard pour ajouter un nouveau
point à l’ordre du jour du congrès de mai 2013, l’indépendance devra impérativement être
ajoutée aux objectifs et valeurs fondatrices des statuts lors d’un congrès
ultérieur, afin d’assurer la cohérence avec le programme et les principes qui
ont donné naissance à Québec solidaire.
Un autre symptôme du souverainisme
mou de la position officielle du
parti réside dans cet énoncé du programme : « Québec
solidaire utilise à la fois les termes souverainiste et indépendantiste pour
décrire sa position vis-à-vis de la question nationale québécoise. » Il
aurait été préférable de remplacer cette proposition par la suivante :
« Québec solidaire définit son orientation sur la
question nationale québécoise comme indépendantiste ». Celle-ci aurait eu
le mérite de poser clairement les termes du débat, et de montrer le leadership
indépendantiste de Québec solidaire par rapport aux positions souverainistes du
Parti québécois et Option nationale. Cette position résulte probablement d’une
mauvaise compréhension de l’importance du discours indépendantiste lors des
débats du congrès de 2009, analogue au rejet de l’idée républicaine au dernier
congrès d’ON en mars 2013.
Un
nouvel élan indépendantiste
Pourtant, Québec solidaire
s’appuie implicitement sur le nationalisme de gauche, qui articule les notions
d’égalité, de souveraineté populaire, d’autodétermination, et même
d’anti-impérialisme. C’est pourquoi le discours officiel du parti devrait faire
davantage référence à l’héritage indépendantiste, qui permet de lier la
critique de la domination de l’État canadien, du capitalisme impérialiste, des
firmes multinationales, de la militarisation et de l’exploitation des pays du
Sud, sans oublier notre propre oppression
nationale. La défense du territoire, du peuple québécois et des nations
autochtones contre les agressions des entreprises étrangères, canadiennes ou
québécoises qui pillent notre terre et fragilisent nos communautés, est l’axe
hégémonique sur lequel peut s’appuyer une nouvelle unité populaire en faveur de
l’émancipation sociale et nationale.
Mathieu Bock-Côté a habilement
réussi à refouler le discours profondément libérateur et rassembleur de
l’indépendantisme décolonisateur en le qualifiant de tiers-mondisme propre aux élucubrations de Pierre Vallières et
d’autres militant·e·s anti-impérialistes de l’époque. Il a écarté systématiquement
cette alternative afin de mieux opposer la soi-disant gauche multiculturelle et cosmopolite à la droite libertarienne déracinée, au profit de sa solution
pseudo-concrète du réenracinement
identitaire. Celle-ci est responsable de la montée du nationalisme
conservateur qui sévit maintenant tant au Parti québécois, au Bloc québécois
qu’à Option nationale, et qui reçoit son expression la plus claire par la
récente création du groupe Génération nationale. Il ne serait pas surprenant
que celui-ci se transforme en parti politique nationaliste de droite à la
manière du Front national en France. Comme le nationalisme identitaire mène
souvent à l’extrême-droite, au populisme, à l’autoritarisme et à l’islamophobie,
il faut reconnaître que la souveraineté par-delà l’axe gauche/droite est un
leurre, voire un discours propre à la droite radicale elle-même. La tension
entre le conservatisme qui referme la souveraineté sur le primat de la Nation
unitaire et la gauche qui ouvre l’indépendance sur la souveraineté populaire
est indépassable.
La distinction entre le discours
indépendantiste et souverainiste est donc fondamentale pour éclairer les débats
sur la convergence nationale. Il ne suffit pas de « rajeunir le discours
souverainiste » par une couche de vernis indépendantiste, comme le prétendent
Bernard Landry et les États généraux sur la souveraineté, mais de déconstruire
les nombreux mythes qui continuent de coloniser l’imaginaire collectif de la
réflexion nationale. Il ne suffit pas non plus d’utiliser les termes
souveraineté et indépendance de manière interchangeable comme le propose Québec
solidaire, ou de considérer les distinctions entre séparatistes,
sécessionnistes, nationalistes, souverainistes et indépendantistes comme de
vaines querelles sémantiques en se concentrant sur la bonne pédagogie du LIT.
Ce débat théorique et pratique ne peut pas se baser sur une définition du dictionnaire
sans verser dans le simplisme, comme le préconise trop souvent Jean-Martin
Aussant :
« Dans le Larousse, le mot
indépendance est défini à l’aide du mot souveraineté et, sans surprise, le mot
souveraineté est défini à l’aide du mot indépendance. Peut-on laisser les gens
utiliser le mot qu’ils veulent et passer au vrai travail, soit celui de
convaincre les Québécois des avantages pour le Québec d’être un pays qui
contrôle tous ses leviers décisionnels, comme 193 pays membres des Nations
unies le font actuellement sans jamais regretter d’être maîtres chez eux ? »
Du projet de pays à
la République démocratique
Si l’option indépendantiste est
orpheline sur le plan des positions
officielles d’un parti politique, son seul terreau fertile réside dans
Québec solidaire qui n’hésite pas à lier la question nationale et la question
sociale en voulant se doter d’un projet
de pays fondé sur l’exercice de la souveraineté populaire et une volonté
collective d’émancipation globale. L’Assemblée constituante ne sera pas une
discussion à froid sur la pertinence ou non de la souveraineté du Québec, mais
le résultat d’une convergence de luttes multiples autour d’un ennemi commun,
installant un rapport de force entre les acteurs mobilisés de la société civile
et l’impérialisme canadien accompagné de ses relents provinciaux. Le processus
d’accession à l’indépendance n’est pas un fleuve tranquille dans lequel nous
pouvons naviguer simplement par des arguments identitaires ou économiques, mais
une rivière parsemée de rapides dans laquelle la virtuosité, la maîtrise du
discours et les luttes permettront seules d’affronter la contingence des
crises.
Le capitalisme mondialisé s’insinue
à toutes les échelles et s’installe confortablement par la domination des
élites économiques et politiques sur le peuple québécois. Celui-ci doit être entendu
au sens romain de plebs (plèbe) et
non de populus (population), c’est-à-dire
au désir des plébéiens de ne pas être dominés par le pouvoir des patriciens. Le
caractère républicain de l’indépendantisme ne se limite donc pas à la défense
d’une forme institutionnelle qui
remplacerait simplement la monarchie parlementaire. Il en va de même pour la
démocratie, qui ne peut être réduite à « un mode de gouvernement, une
pratique spécifiée pour sélectionner des fonctionnaires et en contrôler la
conduite en tant que fonctionnaires » pour reprendre l’expression de John
Dewey. La démocratie représente d’abord une idée
sociale générique.
« L’idée de démocratie est
une idée plus large et plus complète que ce dont un État peut donner l’exemple,
même dans le meilleur des cas. Pour être réalisée, cette idée doit affecter
tous les modes d’association humaine : la famille, l’école, l’usine, la
religion. […] Pour l’individu, elle consiste dans le fait de prendre part
de manière responsable, en fonction de ses capacités, à la formation et à la
direction des activités du groupe auquel il appartient, et à participer en
fonction de ses besoins aux valeurs que le groupe défend. Pour les groupes,
elle exige la libération des membres d’un groupe en harmonie avec les intérêts
et les biens communs. […] La conscience claire de la vie commune, dans toutes
ses implications, constitue l’idée de la démocratie. »
John Dewey (1915). Le public et ses problèmes, Gallimard,
Paris, 2010, pp. 237, 242, 244
Il en va de même pour l’idée
républicaine, qui représente moins un système de gouvernement qu’une dynamique sociopolitique, dans laquelle
la lutte contre la domination sous toutes ses formes permet de préserver la
liberté du peuple. Celle-ci fait écho au programme de Québec solidaire : « La république que nous défendons sera le dépositaire de
l'intérêt général et reposera sur une démocratie qui rejette toute forme de
concentration du pouvoir vidant de sa substance la souveraineté populaire ».
Ce principe crucial dans la stratégie indépendantiste de la gauche permet de
lier l’ensemble de son programme social et démocratique à la perspective
républicaine telle que défendue par Machiavel.
« Cet article
défend la thèse suivant laquelle le républicanisme de Machiavel doit être pensé
dans le cadre théorique des tumulti,
c’est-à-dire des conflits entre les grands — qui veulent dominer— et le peuple
— qui veut être libre. […] Il n’est pas possible de penser la liberté politique
chez Machiavel sans penser la confrontation entre la liberté du peuple, dont
les conditions seraient exposées essentiellement dans les Discours sur la première décade de Tite-Live, et les exercices de
pouvoir ou la domination des grands, dont les principes seraient exposés
surtout dans le Prince. En d’autres
termes, une analyse complète de la liberté ne peut être faite dans la seule
optique de la liberté républicaine, car l’exercice du pouvoir est aussi
l’expression d’une liberté pour Machiavel, celle des grands. »
Christian Nadeau, Machiavel, domination et liberté politique,
Philosophiques, vol. 30, no. 2, 2003 pp. 321-322 http://www.erudit.org/revue/philoso/2003/v30/n2/008644ar.pdf
De la lutte pour
l’indépendance populaire
Pour tirer la souveraineté à
gauche, c’est-à-dire pour faire l’indépendance, il faut dépasser le cadre
étroit de la lutte de classes tel que
défendu par certains marxistes et anarchistes, tout en évitant le piège de l’alliance de classes telle que défendue
par Lénine, qui aspirait à réunir de manière tactique différents secteurs de la
population (paysans, ouvriers, petits-bourgeois éclairés) grâce à la
représentation politique d’une avant-garde qui deviendrait le seul véhicule de
la révolution. L’indépendance ne doit pas être l’œuvre d’un ou plusieurs
partis, mais du peuple québécois lui-même. C’est pourquoi il faut envisager
l’union des couches populaires, précaires, moyennes et éduquées de toutes
sortes, qui s’opposent à l’organisation oligarchique du Québec. Cette lutte de
libération nationale ne passera pas principalement par les urnes, bien qu’un moment de ce processus devra passer par
l’État ; c’est la rue, c’est-à-dire la société civile en acte, qui sera
l’initiatrice et la seule détentrice de ce mouvement d’émancipation.
Le souverainisme ni gauche/ni
droite n’est qu’une renégociation des termes de notre oppression nationale, et
c’est pourquoi cette idée doit être liquidée au profit de l’unité populaire
pour l’émancipation globale prônée par le discours indépendantiste. Ceci n’est
pas une réflexion philosophique, mais une nécessité pratique visant à organiser
les luttes dans le sens d’un nouveau bloc historique capable de renverser
l’ordre établi. Le mot d’ordre de Rosa Luxemburg « socialisme ou
barbarie » pourrait être reformulé par l’expression « indépendance ou
barbarie », en spécifiant que l’indépendance n’est pas le LIT et qu’elle
s’apparente davantage à une révolution sociale, économique et politique, au
sens d’Andrée Ferretti.
Wow! Juste Bravo!
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