Alliance socialiste et indépendantiste (partie 3)
Le mythe du LIT
La principale différence entre Option nationale
et Québec solidaire, bien qu’elle soit en partie idéologique, est
fondamentalement stratégique. Il est logiquement possible que les deux
partis puissent soutenir des conceptions hétérogènes de l’indépendance (au
niveau des raisons et justifications du projet, qu’elles soient économiques,
politiques, sociales, culturelles), tout en cohabitant librement au sein d’une
même organisation. Or, cela suppose de s’entendre sur les moyens de parvenir
à l’indépendance (unité pratique, objective). La question pratique n’est donc
pas de savoir pourquoi nous voulons faire l’indépendance (bien que
celle-ci soit importante), mais comment nous devons la faire. Le pourquoi
relève de l’éthique (le Bien), alors que le comment renvoie au politique
(le Juste). Nous pouvons avoir un pluralisme raisonnable au niveau des diverses
conceptions d’un Québec souverain, mais nous devons trouver un consensus sur la
justice et l’efficacité du processus d’indépendance.
La stratégie d’Option nationale est simple,
voire désarmante : prendre le pouvoir via les élections et décréter la
souveraineté du Québec. Il s’agit de faire le LIT, soit de rapatrier les Lois,
Impôts et Traités à l’Assemblée nationale. Or, le LIT n’est pas une stratégie,
mais la simple description de la souveraineté d’un État. Cela peut
sembler trivial, car les souverainistes s'accordent tous sur cette définition.
Le LIT est une proposition analytique,
du type « les célibataires sont des individus non-mariés », qui ne
fait qu’expliciter ce qui est déjà contenu dans le concept de souveraineté.
Jean-Martin Aussant fait office de bon
pédagogue, car l’explication conceptuelle de la souveraineté permet de
désamorcer certaines confusions entourant ce projet. Mais il s’agit d’une conception
abstraite de la souveraineté, qui
suppose qu’une fois arrivé au pouvoir, le parti élu aura toute la liberté et la
légitimité de se réapproprier l’ensemble des compétences au niveau national.
Cette affirmation hypothétique est-elle vérifiée dans les faits?
D’une part, la stratégie gradualiste du Parti
québécois est plus claire sur la question : celui-ci ira négocier
progressivement certaines compétences avec le gouvernement fédéral, en espérant
avoir une certaine écoute et une certaine légitimité découlant de son élection.
Malheureusement, dans un contexte de gouvernement minoritaire, l’État fédéral
ne voudra pas répondre sérieusement aux demandes du provincial, et la
légitimité d’un tel processus sera même contestée à l’Assemblée nationale. La
stratégie de négociation nécessite donc une majorité claire, et un rapport de
force reposant sur des conjonctures économiques, sociales et politiques
favorables, que ce soit à l’échelle internationale, fédérale, provinciale et
locale. La recette est assez simple, mais les ingrédients pour la réussir sont
rarement réunis. ON suppose donc une stratégie semblable au PQ, mais en plus
musclée ; elle procède tout d’un coup, au lieu d’y aller par étapes. Voilà
pourquoi les caribous y trouvent leur compte. Malheureusement, cette stratégie
souverainiste dépend du processus d’élection, et donc de l’électorat, du mode de
scrutin et d’autres contraintes reliées à la démocratie représentative.
Par ailleurs, comme ON veut écrire une
Constitution seulement après que le processus souverainiste ait été amorcé par
l’État, il voit celle-ci comme le résultat ou l’officialisation d’un processus
essentiellement technique et administratif. Les institutions seraient
principalement transformées par les élites (politiciens, experts
constitutionnels, appuyés par une consultation publique imprécise), le peuple
servant uniquement à élire et entériner un processus fait
essentiellement par le haut (approche top-down). Aucune mention n’est faite sur
les autochtones et leur droit à l’auto-détermination (que le peuple québécois
réclame par ailleurs), comme si l’unité nationale était un fait évident, ne
nécessitant aucune réflexion ni construction. Le parlementarisme est donc
considéré comme la seule voie du salut national.
Malheureusement, l’efficacité de la
stratégie représentative est incertaine, car elle repose essentiellement sur
l’électorat, qui doit se prononcer majoritairement en sa faveur avant le
début du processus (celui-ci n’étant pas assuré de fonctionner). Il s’agit en
quelque sorte d’un référendum renversé, où l’élection tient lieu de référendum
exécutoire sur la souveraineté, au lieu de procéder en deux étapes (la prise de
pouvoir d’abord, puis un référendum par la suite). Ce raccourci est
intéressant, mais il est contraint par la légitimité de cette procédure.
Par exemple, si ON obtenait 66 sièges à l’Assemblée nationale, avec un taux
moyennement élevé d’abstention, il pourrait former un gouvernement majoritaire
avec seulement 24% des électeurs qui auraient voté en sa faveur (ce scénario
ressemble à celui du dernier gouvernement libéral). Logiquement, ON devrait
immédiatement amorcer le processus souverainiste, même si seulement un quart de
la population avait voté pour ce projet!
C’est bien la conclusion étrange à laquelle est
confrontée Option nationale. Comme l’efficacité démocratique dépend avant tout
de la légitimité, le gouvernement canadien aurait de bonnes raisons de refuser
de redonner des pouvoirs à l’Assemblée nationale, le projet souverainiste ayant
obtenu un faible pourcentage de participation. Le fédéral pourrait simplement
dire que le mandat n’est pas suffisamment clair ou légitime, de sorte qu’ON
serait obligé de faire un référendum sur la question ; il opterait alors pour
la stratégie péquiste. De plus, rien ne prouve que les conjonctures
économico-politiques seraient favorables à l’appropriation totale des compétences
au niveau national, de sorte qu’ON devrait inévitablement négocier, un à un,
les différents pouvoirs et composantes du LIT. Finalement, sa stratégie est
fondamentalement semblable à celle du PQ, mais en plus précipitée. Comme
elle dépend largement du système représentatif, ON serait poussé à faire des
compromis, négocier des ententes entre la gauche et la droite, et se soumettre
aux caprices des électeurs pour tenter de prendre le pouvoir à tout prix. Ainsi
sonne l’échec de la simplicité apparente de la stratégie représentative.
L’indépendance
participative
Le fait que Québec solidaire veuille
« discuter du caillou » peut sembler anodin, et l’Assemblée
constituante peut représenter pour certains un obstacle important à la
souveraineté du Québec. Mais derrière la complexité apparente de ce
processus, se cache la simplicité réelle de cette stratégie. Si la
souveraineté dépend avant tout de la volonté commune d’avoir un pays, aussi
bien faire participer l’ensemble de la population à la constitution de celui-ci.
Au lieu de voter pour une réforme institutionnelle aux conséquences
incertaines, c’est-à-dire un Oui ou un Non sans contenu précis, ne serait-il
pas mieux de contribuer activement et collectivement à l’élaboration de la
question nationale et de la forme qui sera donnée au projet? Le Oui du
référendum qui entérinerait la Constitution ne découlerait-il pas naturellement
d’un processus d’auto-formation de la volonté générale? Il serait étrange
qu’une société vote contre un projet
qu’elle aurait elle-même construit!
La longueur relative de cette stratégie (moins
de 2 ans) n’est pas un argument suffisant pour réfuter son efficacité. Par
exemple, en mobilisant différents acteurs, milieux et régions du Québec,
n’allons-nous pas motiver davantage les gens, de sorte qu’ils pourront
voter pour un projet qu’ils auront eux-mêmes dessiné? Une délibération
publique, où se dérouleraient des discussions informelles, débats, assemblées
populaires de quartier, élaborations de consensus, contestations sociales de
toutes sortes, ne pourrait-elle pas enrichir la Constitution et donner une
image plus fidèle de la société québécoise? Doit-on obligatoirement passer par
une élite qui forgerait le moule de la société future d’après sa propre image,
en refusant au peuple l'accomplissement de sa tâche essentielle, soit la souveraineté,
c’est-à-dire la possibilité de décider librement et collectivement de son
avenir? La souveraineté populaire se résume-t-elle à un vote passif
extraordinaire, ou existe-t-elle par une participation citoyenne continue?
Doit-on privilégier une approche unanimiste entre caribous qui cherchent à
prendre le pouvoir (avant-garde), ou laisser une population plurielle décider
par elle-même les contours de son projet collectif?
Par ailleurs, certains membres d’ON craignent
que les fédéralistes fassent partie de l’Assemblée constituante et réduisent
par le fait même sa portée. Par ailleurs, ils reprochent à QS de lier
organiquement l’indépendance et la gauche, alors qu’il faudrait rallier les
souverainistes de toutes allégeances. Or, l’incohérence est plutôt du côté d’ON,
qui refuse de rallier les québécois(es) de toutes allégeances pour réserver
l’indépendance aux purs et durs, en faisant abstraction des conflits réels qui
animent la société québécoise. Les citoyennes et les citoyens de l’Assemblée
constituante proviendront de nombreux milieux, de sorte que les politiques de
gauche ne seront pas intrinsèquement liées au contenu de la
Constitution, mais à la forme démocratique de ce processus (souveraineté
populaire et participative, plutôt que nationale et représentative).
Cette question, bien qu’elle semble rhétorique,
renferme une divergence stratégique profonde : pour motiver le peuple, il faut le rendre capable d’indépendance, et pour ce
faire, il devra participer à
son processus d’autoconstitution, dont la légitimité constitutionnelle émergera naturellement, ce qui
contribuera à assurer l’efficacité
de la réappropriation collective des moyens politiques et économiques du
Québec. Il est peu probable que le peuple soit prêt à défendre coûte que coûte
des réformes menées par quelques élites, aussi louables soient-elles ; mais il
serait probablement plus intéressé à défendre son autonomie collective, surtout
si celle-ci exprime l’identité qu’il aura lui-même forgée.
Dans un scénario où le gouvernement canadien
refuserait de reconnaître juridiquement la souveraineté du peuple québécois,
une grande résistance serait plus probable de survenir après la tenue d’une
Assemblée constituante, car ça ne serait pas une simple décision politique qui
serait niée, mais bien une identité collective fraîchement créée. Même s’il
s’agit de spéculations, celles-ci permettent d’envisager la forme que prendrait
la révolution politique du Québec en cas de refus, voire la révolution
sociale amorcée par le processus d’émancipation collective pouvant résulter
de l’Assemblée constituante. Ce ne sont que des hypothèses, des probabilités
éventuelles de cette stratégie, qui est d’ailleurs beaucoup plus stimulante
qu’un vote électoral où le mandat de la souveraineté serait confié à quelques
députés.
Enfin, l’indépendance formelle du Québec
(souveraineté nationale de l’État québécois), ne sera jamais aussi forte
que l’indépendance réelle de la société (souveraineté du peuple
québécois). Si nous ne nous dotons pas d’une Constitution permettant d’y
insérer les principes fondamentaux d’une future République sociale et
écologique (égalité hommes/femmes, mais aussi les droits de la Terre Mère,
droit à un revenu de citoyenneté, etc.), nous resterons largement esclaves de
la société actuelle, du gouvernement représentatif et du système capitaliste.
Pourquoi changer la carrosserie du Québec si le même moteur désuet reste
inchangé?
Évidemment, l’hypothétique République du Québec
reste une utopie, qui pourra néanmoins émerger du débat concernant la forme de
la société future. Pourquoi privilégier la conception abstraite de
l’indépendance (LIT) et concevoir la Constitution comme un accessoire, alors
que celle-ci représente le cœur d’un nouveau Québec qui se réalisera par la souveraineté
populaire? La participation démocratique n’est pas anodine, car elle représente
l’exercice déjà efficient d’une indépendance en marche. L’indépendance n’est
pas une chose (le Grand Soir du référendum), mais un processus créatif et
complexe qui rencontrera des obstacles, des opportunités, mais surtout de la
nouveauté.
À la lumière de ces réflexions, la stratégie représentative
apparaît comme étant moins simple que simpliste. À l’inverse, la
stratégie participative pourrait déboucher sur plusieurs avenues hautes en
couleur. La voie représentative ne donne pas plus de garanties que la stratégie
participative, mais apporte un certain confort à ceux qui voudrait que la
souveraineté se produise doucement par les urnes. La seconde stratégie relève des
urnes et de la rue, l’urne n’étant qu’un moment d’un grand processus qui
se déroulerait essentiellement par la délibération, la contestation et
l’élaboration discursive au sein de l’espace public. Elle combine la stratégie
représentative mais ne se limite pas à elle, de sorte qu’elle prend tous les
outils disponibles pour réaliser la souveraineté du Québec. Si ON s’attache
exclusivement au pouvoir de l’État, QS reconnaît l’importance de la participation
active de la société civile ; l’État ne peut être que le parent qui regarde son
adolescent devenir adulte. La première voie est autoritaire et électoraliste ;
la seconde est anti-autoritaire et délibérative. L’indépendance participative
reconnaît une légitimité réelle à la population, et ne fait que la supporter
dans son processus d’auto-émancipation collective.
…Suite dans la partie 4…
Je suis bien d'accord avec l'idée qu'une accession à la souveraineté est plus légitime si elle est assise sur une constitution écrite par le peuple, mais pourquoi ne pas tout de même mettre en place la souveraineté dès l'accession au pouvoir pour ~ensuite~ laisser le peuple écrire une constitution qui sera votée par lui ? Si Québec Solidaire procédait ainsi, il se rallierait d'emblée — par une fusion pure et simple, selon ses statuts — Option Nationale et nous aurions peut-être alors un début de rassemblement apte à gagner l'appui des électeurs déçus du Parti Québécois.
RépondreSupprimerQuébec solidaire veut amorcer l'Assemblée constituante dès son premier mandat, ce qui est déjà l'enclenchement du processus d'indépendance. Par ailleurs, si Québec solidaire veut mettre en pratique son programme, il devra inévitablement rapatrier des pouvoirs et renforcer la souveraineté du Québec. Mais il ne pourrait, quant à moi, déclarer de manière unilatérale l'indépendance du Québec dès son élection, car elle n'aurait pas le poids d'un référendum, et le peuple n'aurait pas encore déterminé les grandes lignes de la société future. Le mieux qu'il puisse faire, c'est démarrer le plus rapidement possible l'Assemblée constituante, et faire voter le peuple sur la Constitution une fois rédigée, en préparant le terrain pour la souveraineté du Québec.
SupprimerLa seule ambiguité qui reste d'après moi, c'est l'idée de faire un référendum sous deux questions, la première concernant la Constitution, et la seconde le statut politique du Québec. Les deux devraient être plutôt liées, car il serait absurde de voter pour une Constitution qui ne sera effective que dans le cadre fédéral. Ceci constitue le principal talon d'Achille de la stratégie solidaire, et il faudra la corriger en incorporant des éléments d'ON à mon avis.
Sinon, je suis d'accord pour une alliance plus étroite entre QS et ON, à condition de radicalise la position indépendantiste de QS, et démocratiser la position d'ON pour former la véritable alternative au PQ. Dans ce cas, il n'y aurait pas une neutralisation mais un renforcement des positions de chaque parti, ce qui serait l'idéal pour offrir une vraie alternative aux prochaines élections.
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