Critique de Projet Montréal
Un parti
progressiste ?
Projet Montréal est sans aucun
doute le parti politique municipal le plus progressiste de la scène
montréalaise, voire de l’ensemble des municipalités québécoises. Fondé sur des
principes de « développement urbain durable » et de « démocratie
renouvelée », il propose des mesures de planification urbaine et des
réformes institutionnelles beaucoup plus radicales que le « populisme
mononcle » de Denis Coderre, la « pseudo-coalition » dirigée par
l’affairiste Marcel Côté et le « vacuum post-idéologique » de Mélanie
Joly. Tandis que ces quatre
candidat-es à la mairie de Montréal ne militent qu’en faveur du business as usual, en prétendant lutter
contre la corruption par la simple fonction perlocutoire de l’acte de langage
« je ne suis pas corrompu », Projet Montréal propose un véritable
programme politique qu’il s’agit maintenant d’analyser.
Le but de cet article est de
montrer que malgré le caractère relativement
progressiste de Projet Montréal, notamment sur le plan environnemental,
celui-ci n’est pas substantiellement
progressiste en ce qui a trait à la justice sociale. L’échiquier politique est
éminemment complexe, car il comprend plusieurs dimensions qui peuvent traiter
la question économique
(socialisme/néolibéralisme), sociale (libéralisme/conservatisme), étatique
(anarchisme/autoritarisme), nationale (cosmopolitisme/chauvinisme),
environnementale (écologisme/productivisme), etc. Pour les besoins de l’exposé,
nous rabattrons ces dimensions sur un axe linéaire gauche/droite ; le pôle néolibéral-conservateur
privilégie la croissance économique et le maintien des normes sociales,
politiques et culturelles actuelles (ex : la prédominance de l’automobile),
tandis que le pôle social-écologiste préconise l’inclusion, l’égalité et la
transformation du mode de développement (ex : transports actifs,
agriculture urbaine).
Si nous situons les différentes
formations politiques montréalaises sur ce continuum, Côté, Coderre et Joly se
retrouvent quelque part au centre-droit, tandis que Projet Montréal apparaît
comme relativement à gauche des
autres candidats. Pourtant, si nous regardons attentivement le programme du
parti, celui-ci tend à ce rapprocher du centre politique sur de nombreux
aspects, notamment par rapport à sa plateforme de 2009. Les deux principaux
reculs de Projet Montréal renvoient à la marginalisation de la question sociale
et de la démocratie participative au profit de « l’économie verte »
et la « gouvernance ». Or, il ne s’agit pas d’une simple erreur de
parcours relevant d’une maladresse politique, mais d’une conséquence logique de la matrice idéologique du parti : le
développement durable. Après avoir examiné plusieurs points du programme 2013
de Projet Montréal, nous tenterons d’expliquer les limites structurelles de
cette perspective et la nécessité d’élaborer un projet politique municipal
alternatif.
Le
pseudo-renouvellement démocratique
Comparativement à la version de 2009
du programme de Projet Montréal, la section sur le renouvellement de la démocratie
montréalaise de 2013 a définitivement été atrophiée. La première comprenait la
création de conseils de quartier et de comités consultatifs citoyens,
l’instauration d’un mode de scrutin proportionnel, et l’implantation de budgets
participatifs au niveau des arrondissements et du conseil municipal. Tous ces
engagements ont disparu dans la nouvelle mouture du programme, qui se concentre
davantage sur la révision de la gouvernance de Montréal et des arrondissements,
le principe de gouvernement ouvert (accès numérique aux données de la Ville),
et la « conservation » des instances démocratiques de proximité.
D’ailleurs, celles-ci sont considérées comme des « guichets », c’est-à-dire
de petites ouvertures par lesquelles il est possible de communiquer avec les
employés d’une administration.
Cette conception de la démocratie
renvoie à la « gestion de proximité » qui vise un certain rapprochement
entre élus et citoyens, une amélioration de la transparence et une adaptation
des services publics. Cependant, elle s’inscrit dans une dynamique largement top-down, faiblement politisée et
essentiellement consultative. La gestion de proximité ne repose pas sur le
principe de délibération, ne remet pas en cause la concentration du pouvoir
politique et économique, laisse peu de place au conflit, impose les règles par
le haut et ne donne aucun pouvoir décisionnel aux citoyens. Selon l’échelle des
huit niveaux de participation de Sherry R. Arnstein (1969), cette perspective
reste au niveau de la « coopération symbolique » : information,
consultation et apaisement (placation).
Elle n’implique aucun réel partenariat, délégation de pouvoir ou contrôle
citoyen.
A contrario, la démocratie
participative suppose une participation citoyenne active à la gestion et au
contrôle de la machine administrative. Elle renvoie à « l’inversion des
priorités sociales », la redistribution des ressources, la politisation,
la transformation du système politique et le partage du pouvoir. La
participation bottom-up joue un rôle
prépondérant, les mouvements sociaux investissent ces instances, et les
citoyens jouissent d’un pouvoir décisionnel ou co-décisionnel avec le gouvernement
local. La délibération doit permettre à la fois l’expression des conflits et
une discussion collective plus large sur l’intérêt général, et les règles
doivent être déterminées conjointement par la base et les élus. Si Projet
Montréal avait gardé les budgets participatifs et la création de conseils de
quartier dans son programme, il aurait davantage contribué à la création d’un
pouvoir citoyen effectif. Malheureusement, il aura préféré conserver les
institutions représentatives actuelles en leur ajoutant une composante de
« gouvernance participative » qui ne tient pas vraiment compte des
enjeux sociaux.
L’oubli du social
Du point de vue résidentiel,
Projet Montréal prévoit développer de « véritables quartiers
urbains » tout en appuyant concrètement la construction de logements
accessibles par des incitatifs fiscaux et des subventions. Il est également
question d’assurer la mixité sociale des quartiers et de créer un Fonds du
logement social et abordable. Apparemment, cela devrait contribuer à limiter
les effets négatifs de la gentrification qui sera inévitablement engendrée par
les projets de développement urbain prévus pour assurer la prospérité
économique de la ville : projets TOD, Entrée maritime de Montréal,
revitalisation autour du Parc Olympique, recouvrements d’autoroutes, appui au
secteur des nouvelles technologies, etc.
Cependant, Projet Montréal a
retiré de nombreux engagements cruciaux qu’il avait adoptés en 2009 : financer
adéquatement le logement social en faisant pression sur les autres paliers de
gouvernement ; construire annuellement 1500 logements sociaux ;
instaurer un zonage d’inclusion exigeant aux promoteurs privés d’inclure au
moins 25% de logements sociaux et abordables à leurs projets ; réserver
des terrains vacants et en favoriser la transformation d’édifices résidentiels
en coopératives d’habitation. Tous ces points ont été abandonnés en 2013, alors
que le prix des logements ne cesse d’augmenter, que l’embourgeoisement bat son
plein dans plusieurs quartiers de la ville et qu’aucune politique de régulation
de la spéculation immobilière ne semble à l’horizon.
En matière de transports, Projet
Montréal compte créer un fond des transports durables, améliorer, moderniser et
prolonger le métro, améliorer le service d’autobus et de train de banlieue,
investir dans l’électrification des transports, assurer la sécurité des piétons
et des cyclistes, confirmer la place de Montréal en tant que capitale du vélo
en Amérique, rendre conviviales les rues et les ruelles, contrôler les axes de
déplacement automobile et le stationnement. Il s’agit sans nul doute de la
principale « inversion des priorités sociales » du parti, qui
permettrait de remplacer la domination de l’automobile par la prépondérance des
transports actifs et collectifs. Malheureusement, l’insistance sur
l’accessibilité formelle aux
transports collectifs semble avoir négligé l’accessibilité réelle à de tels services publics.
En effet, le programme de 2009
s’engageait à réduire le coût de la CAM en la ramenant à 60$ par mois (elle est
actuellement à 77$), et à instaurer la gratuité des transports au centre-ville.
L’absence de cet engagement en 2013 ne semble pas être un simple oubli mais une
omission, résultant de la nécessité
d’investir massivement dans les transports collectifs sans avoir la certitude
d’obtenir un financement adéquat de la part du gouvernement provincial et
fédéral. Cette crainte légitime néglige néanmoins l’accessibilité économique et
donc la justice sociale d’un tel mode de développement. Contrairement aux idées
reçues, la gratuité des transports collectifs est mutuellement avantageuse,
peut être défendue à la fois d’un point de vue d’égalité et d’efficacité, et
serait financièrement viable à condition d’instaurer les mesures fiscales
adéquates (voir Justice coopérative et gratuité des transports en commun). Le fait de ne pas s’engager à réduire le coût ou même à geler les
frais des transports publics équivaut donc à tolérer l’augmentation de leur
inaccessibilité dans un contexte de stagnation des salaires, d’inflation du
coût de la vie et de disparité croissante entre classes sociales.
La logique du
développement durable
La perspective de planification
urbaine de Projet Montréal ne prend pas en compte des inégalités socioéconomiques,
que ce soit en matière d’habitation, de transport, d’économie et
d’environnement. La notion de justice sociale ou d’inégalités n’apparaît pas
une seule fois dans le programme, et les quelques mesures relevant de cette question
ont été biffées du programme en 2013. Ceci découle probablement de l’engagement
2.16 visant à réaliser le programme de Projet Montréal sans hausser le compte
de taxes foncières générales au-delà du taux d’inflation. Les scandales de la
corruption, la fragilité des finances publiques et la logique d’austérité
semblent aviver la susceptibilité électorale des contribuables, de sorte qu’il
serait suicidaire d’exiger d’augmenter les taxes locales pour des questions de
redistribution et d’amélioration des conditions de vie des plus démunis.
Par ailleurs, l’idée maîtresse de
Projet Montréal repose sur la lutte contre l’étalement urbain qui contribue à
la baisse démographique de la ville-centre au profit de la périphérie (exode
des familles en banlieue). Ce phénomène contribue à l’explosion de la
circulation automobile et à la dévitalisation urbaine, ce qui explique
l’obsession pour le vélo, l’apaisement des rues, le développement de quartiers
verts et d’autres mesures visant à améliorer l’attractivité, la compétitivité
et la durabilité de Montréal, triade du développement durable. La réponse à
l’oppression de la périurbanisation et de la culture automobile qui en découle
semble donc résider dans une solution technique
d’aménagement durable, de planification des transports, et de développement de
quartiers attrayants permettant d’attirer les jeunes familles de classe
moyenne.
Bien que le parti mette le doigt
sur un problème réel et propose des mesures intéressantes pour le surmonter, il
prend pour modèle imaginaire le citoyen aisé et branché, et non les couches
populaires, les individus précaires, les travailleurs immigrants temporaires et
autres personnes qui seront discriminées par l’embourgeoisement de cette forme
de capitalisme vert. Projet Montréal remplace la « lutte des classes » par la « lutte des transports », et la justice sociale par la « qualité
de vie » d’une catégorie sociale privilégiée. Cette logique, associant
étroitement développement économique, qualité de vie et respect de
l’environnement, ne remet aucunement en question les rapports de pouvoir
politique et économique, ni le mode de production qui génère systématiquement
les injustices, la privatisation de l’espace public, la surexploitation des
ressources naturelles et la destruction des biens communs.
De la gestion
environnementale à la répression policière
Il ne s’agit pas ici de critiquer
l’ensemble du programme de Projet Montréal, qui rassemble d’ailleurs de
nombreuses propositions fort intéressantes. Néanmoins, celles-ci ne sortent pas
de la logique dominante de la « gestion environnementale »,
caractérisée par les plans de développement durable et les certifications ISO
14001, c’est-à-dire une approche managériale des problèmes environnementaux qui
croit pouvoir les résoudre sans changer en profondeur les valeurs, les
institutions, les modes de production et de consommation actuels. Heureusement,
Projet Montréal ne sombre pas non plus dans le green washing, car il soutient la modernisation écologique des
industries, la protection intégrale des espaces verts, le développement massif
de l’agriculture urbaine, etc.
De plus, sa conception du
développement économique ne repose pas sur la promotion aveugle de
l’industrie culturelle et la publicité, les mégaprojets immobiliers et récréo-touristiques,
les firmes multinationales et autres mesures néolibérales, mais sur l’accès au
fleuve, l’économie sociale, les commerces de proximité, le soutien aux petites
entreprises, le secteur des logiciels libres, les milieux associatifs, les
ateliers d’artistes, la diffusion de la culture dans les quartiers, etc. Pourtant,
ce « libéralisme vert » à échelle humaine ne prend pas
sérieusement en compte les pressions économiques et idéologiques du modèle
néolibéral, les injustices sociales et la crise démocratique, ni les
revendications des mouvements sociaux.
Sur le plan de la sécurité
publique, le parti souhaite interdire l’utilisation de balles de plastique lors
des manifestations et réviser la politique de déploiements massifs des troupes
policières dans les grands rassemblements, mais le programme ne mentionne aucun engagement
en faveur de l’abolition du règlement P-6 ou la tenue d’une commission
d’enquête publique sur la brutalité policière. Il reste ainsi à la surface du
problème en souhaitant « humaniser » la sécurité publique et
« moderniser » la police, sans s’interroger sur les différentes
formes de discrimination (profilage social et racial, judiciarisation de
personnes itinérantes) et la répression des groupes exclus (voir à ce sujet la célèbre déclaration de Bergeron, « Montréal n'est pas une colonie de vacances »).
Un symptôme de ce biais puritain
(pour une ville saine, verte et sécuritaire) est l’engagement visant à faire de
Montréal une ville exempte d’exploitation sexuelle. Le parti vise d’abord à
catégoriser les établissements susceptibles de favoriser le travail du sexe
(salons de massage) et assurer leur contrôle via des permis en donnant un
pouvoir accru aux policiers. Projet Montréal souhaite renforcer les effectifs
d’enquête de la « section moralité » et exiger au SPVM un rapport
annuel sur la prostitution, ce qui aura sans doute pour effet de renforcer la
répression policière et la discrimination des prostituées. Celles qui voudront
sortir de leur milieu pourront heureusement aller dans un refuge créé à cette
fin, mais aucune mesure ne propose de les aider concrètement à lutter contre l’exploitation
sexuelle. Il s’agit moins d’abolir la prostitution ou d’améliorer les
conditions de vie de ces personnes, que de les mettre à l’écart, de les
« invisibiliser » en balayant la poussière sous le tapis, comme en
interdisant l’affichage érotique près des écoles et des garderies.
Le virage à droite
de Projet Montréal
Projet Montréal n’est pas un
parti parfait, mais la question est de savoir s’il est perfectible ; si
oui, jusqu’à quel point ? Est-il possible et souhaitable d’investir
massivement cette formation politique afin de la tirer à gauche, en
l’articulant aux luttes sociales, écologistes, féministes, altermondialistes,
etc.? N’est-il pas composé d’une pluralité de membres et d’organisateurs
progressistes et solidaires, même si d’autres acteurs sont issus du PQ, de
Vision Montréal et même de certains libéraux ? Si tout parti possède une
aile gauche et droite, pourquoi ne pas simplement participer aux associations
locales d’arrondissement en proposant des réformes plus radicales en matière de
justice sociale ?
Cette stratégie pourrait sans
doute porter ses fruits, mais elle reste fondamentalement limitée. De
manière générale, un parti est toujours basé sur une idéologie ou une vision du
monde. Dans le cas de Projet Montréal, celui-ci a pour discours structurant le
développement durable et l’utopie qui lui est associée, c’est-à-dire la
« démocratie de proximité » subordonnée aux élus-urbanistes, le
développement économique à échelle humaine sans remise en question du
néolibéralisme, les transports actifs et collectifs pour les citoyens aisés, la
revitalisation urbaine sans prise en compte des intérêts des couches défavorisées,
la promotion de l’espace public tolérant certaines formes de répression
policière.
Évidemment, nous pourrions
imaginer que Projet Montréal réintègre les engagements de 2009 qu’il a laissé tomber en 2013, probablement pour des motifs électoralistes. Le parti pourrait
également affiner ses politiques en matière de justice sociale afin de prendre
en compte la situation de personnes extérieures à son public cible. Il pourrait
également renoncer à la modification du changement de nom Équipe
Bergeron/Projet Montréal, qui confirme la tendance du parti à sous-estimer
l’intelligence des électeurs et à miser sur la notoriété des chefs. Il pourrait
théoriquement revoir ses engagements sur la démocratie montréalaise en misant
sur la décentralisation et un réel pouvoir citoyen. Le problème est qu’il
mettra de côté ses engagements les plus controversés aussitôt qu’il sera susceptible
de prendre le pouvoir, ou sera probablement contraint de ne pas les respecter
une fois élu au conseil municipal.
À cela s’ajoute le problème que
Projet Montréal soit un parti réformiste qui peine à s’inscrire dans un
véritablement mouvement social. Sans une mobilisation populaire massive
permettant d’appuyer les réformes du parti, celui-ci ne pourra que gérer les
pots cassés de l’ancienne administration et renoncer à ses politiques qui menaceraient
l’ordre établi. Autrement dit, comme Projet Montréal reste un parti politique
traditionnel déconnecté des luttes sociales et urbaines, une organisation relativement
démocratique mais dépourvue d’une culture politique militante et d’un programme
politique visant une transformation sociale, il est voué à se « recentrer » durant la campagne électorale et virer à droite une fois élu.
Dans son livre Trente
ans de politique municipale (2001), Marcel Sévigny constate les promesses
et les échecs de la gauche municipale à travers l’histoire du Rassemblement des
citoyens de Montréal (RCM). Pour résumer, le RCM a essentiellement échoué parce
qu’il n’a pas su éviter le piège de la centralisation, que ce soit au sein du parti
(dominé par la tête dirigeante du maire Jean Doré) ou au sein de la ville (en laissant
tomber l’engagement de créer des conseils de quartier). Autrement dit, si une
formation social-démocrate comme le RCM est restée prisonnière des
contradictions du capitalisme et de la démocratie représentative, on peut
aisément deviner qu’un parti qui ne se réclame même pas de la gauche
s’enfoncera inévitablement dans la logique néolibérale et le marasme
administratif dominant. Les prochaines élections municipales de novembre 2013
ne seront donc pas le lieu d’un réel changement.
De la
conjoncture actuelle aux échos du passé
À court terme, il serait tout de
même précipité d’annuler son vote ou de choisir d’autres formations politiques,
qui sont toutes plus à droite et conservatrices que Projet Montréal. Bien que
la course à la mairie soit peu enthousiasmante et que le nombre d’options
politiques soit relativement restreint, la meilleure stratégie consiste à
choisir les candidat.es les plus progressistes et intéressante.s, puis le parti
qui pourrait le mieux améliorer concrètement les choses s’il était au pouvoir.
Pour les personnes motivées par la politique municipale, il serait même
approprié de militer sur le terrain afin de barrer la route aux individus
susceptibles de renforcer la néolibéralisation de Montréal, comme l’Équipe
Denis Coderre et la coalition de Marcel Côté. La conjoncture politique nous
conduit ainsi à opter pour l’action ou le vote stratégique.
À vrai dire, le vote stratégique n’est
pas une solution en général, car il empêche souvent des alternatives politiques
d’émerger au profit de partis au service des intérêts dominants. Ceci peut être
illustré par le fait que de nombreux progressistes appuient toujours le Parti
québécois, et ce au détriment de Québec solidaire. Néanmoins, l’absence d’une
alternative de gauche au niveau municipal nous place devant la nécessité de contrer la droite à court terme avec les moyens existants, ce qui ne nous empêche pas de bâtir une nouvelle organisation politique à moyen terme. Cela
est-il possible dans le contexte actuel ? Si nous regardons le début des
années 1990, le premier parti vert municipal au Canada, Montréal Écologie, fut fondé
par le militant anarchiste Dimitri Roussopoulos qui s’inspira des principes de
la nouvelle gauche et de l’écologie sociale de Murray Bookchin. Le parti
fusionna avec l’aile dissidente du RCM en 1994 pour former la Coalition
démocratique-écologique de Montréal, qui n’obtint que deux sièges aux élections
municipales.
En 1998, Montréal Écologique
disparut pour laisser place à de nouvelles initiatives au sein de la société
civile, comme la création du Centre d’écologie urbaine de Montréal, le Groupe de travail sur la démocratie
municipale et la citoyenneté (GTDMC) et l’organisation de cinq Sommets citoyens
dans les années 2000. Ces activités sont à l’origine de la Charte montréalaise
des droits et responsabilités et de l’Agenda citoyen, qui continuent encore à influencer certaines politiques publiques et programmes de partis, notamment
Projet Montréal. Maintenant, ce retrait de la sphère politique formelle pour
organiser la société civile et préparer le terrain idéologique sera-t-il
suffisant, ou devra-t-on retrouver un niveau d’organisation permettant de
véritablement transformer les institutions à la hauteur de nos
aspirations ?
La nécessité d’une alternative
politique
Si nous regardons de près, l’éducation populaire et les initiatives de
la société civile représentent des conditions nécessaires mais non suffisantes
du changement social, et tendent à s’effriter
lorsqu’elles restent des formes de contre-pouvoir qui ne parviennent pas
à se traduire politiquement. Par exemple, la dépolitisation progressive du
Centre d’écologie urbaine de Montréal, l’absence de suite au cinquième Sommet
citoyen de Montréal, la multiplication des expérimentations locales à saveur contestataire
mais rapidement réprimées (Occupons Montréal) ou lentement résorbées par
l’atténuation de la crise sociale (Assemblées populaires autonomes de quartier)
représentent autant d’échecs partiels qui témoignent de l’incapacité d’élaborer
un véritable projet politique de transformation sociale à l’échelle municipale.
Doit-on maintenant essayer d’articuler la guerre de position à la guerre de
mouvement, c’est-à-dire lier les revendications citoyennes à une organisation
politique capable de les réaliser ? Cette question très sérieuse doit d’abord
faire le bilan des promesses et des impasses du passé, comme le témoigne
Dimitri Roussopoulos à partir de son expérience de Montréal écologique.
« Sans entrer
dans les détails encore une fois, à la suite de notre aventure qui a duré de
six à huit ans, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il est impossible, avec
la culture existante à Montréal, de constituer un parti de gauche quand il
existe déjà un parti de centre-gauche, surtout lorsqu’il est au pouvoir. La
culture politique montréalaise n’était pas suffisamment mature pour permettre à
cette diversité d’émerger surtout en l’absence d’un système électoral
proportionnel. C’est vraiment la conclusion à laquelle nous sommes arrivés à
cette époque. Nous nous sommes alors dit qu’il fallait créer peu à peu des
espaces publics pour enrichir la culture politique montréalaise; il fallait
donc mettre sur pied des organisations qui font essentiellement deux choses:
un, entreprendre un programme d’éducation populaire et deux, mettre sur pied
des projets pilotes, des choses « pratico-pratiques », à partir desquels les
gens peuvent voir la démonstration de certaines idées théoriques. Avec une
telle approche, éducation/pratique, nous pouvons préparer le changement de
cette culture politique et, après un certain moment, si nous pensons qu’il y a
suffisamment de flexibilité ou d’ouverture dans cette culture politique
urbaine, nous pouvons alors songer à créer un nouveau parti politique. »[1]
Il faut maintenant
regarder s’il est possible de créer un parti de gauche écologiste municipal
malgré la présence de Projet Montréal. Celui-ci est-il au centre-gauche ou au
centre de l’échiquier politique ? Prendra-t-il le pouvoir aux prochaines
élections ? Serait-il mieux d’attendre encore plusieurs années avant de
créer un nouveau parti réellement progressiste, lorsque que la société civile
montréalaise sera suffisamment mûre ? Doit-on plutôt accompagner les
mobilisations populaires, les initiatives citoyennes, les luttes sociales et
les classes défavorisées afin de contribuer au développement d’une véritable
conscience politique nécessaire à la transformation de la ville ? Bref, la
culture politique urbaine est-elle suffisamment flexible et ouverte, en 2014,
pour poursuivre les luttes entreprises par le Front d’action politique (1969-1973),
le RCM et Montréal Écologique ?
Après quinze ans de sommeil
politique, la gauche doit reprendre ses droits, créer de nouvelles alliances
entre socio-démocrates, socialistes, écologistes et libertaires, dans une
perspective de décentralisation du pouvoir et de démocratisation radicale de
Montréal. Pour approfondir davantage cette piste de réflexion, n’hésitez pas à
consulter l’article « La gauche et l’oubli de la ville », publié dans
le dixième numéro des Nouveaux cahiers du socialisme.
[1] Jérôme Messier,
Démocratiser la Ville de Montréal : un
projet de transformation sociale : entrevue avec Dimitri Roussopoulos,
Nouvelles pratiques sociales, vol. 18, no.2, 2006, p.9
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