Oppression nationale et intersectionnalité
Entre nation et intersection
Le nationalisme est un phénomène
social fort complexe ; il peut mener autant à l’émancipation (lutte pour
l’indépendance nationale) qu’à de nouvelles formes de domination (oppression
des minorités ethniques, impérialisme). Cela nous oblige à penser la double
signification de l’oppression nationale, c’est-à-dire la nation en tant que
sujet ou objet de l’oppression. D’une part, lorsque la nation revendique
fortement ses valeurs et opte pour une interprétation biaisée de la laïcité qui
discrimine certaines communautés culturelles de la sphère publique (projet de
Charte des valeurs québécoises du Parti québécois), nous sommes en présence d’un
cas flagrant d’oppression de la nation sur les groupes subalternes. D’autre part,
lorsque un État déploie des politiques économiques, constitutionnelles,
politiques, sociales, environnementales et culturelles qui amènent une
discrimination systématique des membres appartenant à une nation (rapport
Canada-Québec), nous avons affaire à l’oppression d’une nation par une autre.
Pour éclairer cette distinction
essentielle, nous ferons appel à l’approche de l’intersectionnalité qui étudie
les relations et intersections entre différentes formes de domination et de discrimination. Une
personne peut subir simultanément de multiples formes de discrimination, que ce
soit en termes de race/classe/genre/ethnicité/sexualité/capacité/âge. Par
exemple, une femme autochtone lesbienne et handicapée souffrira d’au moins
quatre formes de domination, celles-ci n’agissant pas de manière séparée mais
combinée.
Le terme intersectionnalité fut popularisé par la féministe afro-américaine Kimberlé Crenshaw au début des années 1990, dans une étude portant
sur les violences subies par les femmes de couleur issues de classes défavorisées
aux États-Unis. Ce concept montre que nous sommes souvent confrontés à une
« matrice de domination » qu’il faut prendre en compte de manière
globale afin de ne pas privilégier certaines luttes au détriment de d’autres.
Par exemple, les marxistes-léninistes des années 1970 au Québec considéraient
que la lutte des classes était un enjeu plus fondamental que le mouvement de
libération des femmes. Il en va de même pour le nationalisme québécois
traditionnel, qui considère la souveraineté comme une priorité au détriment de
la lutte contre les injustices sociales.
Néanmoins, les adeptes de
l’intersectionnalité privilégient souvent l’étude des dominations en termes de race,
genre, classe, etc., mais négligent la question nationale ou considèrent
celle-ci comme une forme d’oppression de la majorité sur d’autres minorités.
Or, dans un contexte de minorité nationale, c’est-à-dire dans la situation où
une nation est privée de ses capacités d’autodétermination et subordonnée à un
autre État qui lui cause des torts systémiques, il serait absurde de vouloir
exclure la catégorie de « nation » de l’analyse intersectionnelle. La
thèse de cet article est de montrer que l’oppression nationale devrait être
incluse dans l’analyse générale des rapports de domination, et qu’un mouvement
qui lutte contre l’oppression nationale est illégitime s’il ne porte pas une
attention égale aux autres formes de discrimination qu’il est susceptible de
générer. Ainsi, un nationalisme égalitariste et émancipateur doit être
simultanément socialiste, féministe, pluraliste, altermondialiste et écologiste,
afin de lutter contre les dominations en termes de classes, de genre,
d’ethnicité, ainsi que l’exploitation des autres peuples et de la nature.
Avant de débuter, il faut
préciser que cette analyse représente avant tout une piste de recherche, voire
un chantier théorique qui devra être considérablement élaboré pour clarifier le
vocabulaire, appuyer solidement chacune des thèses et suppositions qui
figureront dans les lignes suivantes. Cette réflexion n’a été précédée ni d’une
recherche systématique sur la réalité empirique de l’oppression nationale (qui
reste à démontrer par des études sociologiques dans le contexte du XXIe
siècle), ni d’une connaissance approfondie de l’approche intersectionnelle. Cet
article découle plutôt d’une intuition sur le croisement potentiellement riche
et révolutionnaire de ces deux questions, et de l’urgence de lancer cette
hypothèse dans le contexte du débat houleux sur la Charte des valeurs
québécoises. Ainsi, la fonction du « nationalisme intersectionnel »
qui sera mobilisée dans le cas actuel consiste moins à explorer concrètement
l’intersection des formes de domination (interprétation sociologique), qu’à
dégager une classification générale des idéologies nationalistes et des
politiques d’intégration afin de dégager les différentes « visions du
monde » susceptibles de gérer la diversité et de transformer la société
québécoise (interprétation politique).
Préjugé, discrimination
et oppression[1]
Bien que les termes « préjugé »
et « discrimination » soient souvent utilisés comme des synonymes dans le langage de tous les jours, ils peuvent être distingués de la manière
suivante. D’une part, les préjugés sont un ensemble de croyances et de
stéréotypes qui amènent un individu ou un groupe à être biaisé en faveur ou en
défaveur d’un groupe social particulier. D’autre part, la discrimination
renvoie à un traitement défavorable et systématique de personnes appartenant à
un groupe social. Même si la présence de préjugés vis-à-vis un groupe mène
souvent à le discriminer, cela n’est pas toujours le cas. Pour illustrer
l’articulation entre ces deux notions, le sociologue Robert K. Merton distingue les quatre cas de figures
suivants[2] :
a) L’antiraciste (ou pluraliste)
combat les préjugés et la discrimination ; b) le pluraliste réticent n’a
pas de préjugé mais peut discriminer si cela est dans son intérêt (raciste
stratégique) ; c) le bigot timide a des préjugés mais n’ose pas le montrer
(raciste passif) ; d) le raciste actif a des préjugés et n’hésite pas à
discriminer ouvertement.
Typologie des relations entre préjugés et
discrimination
Ne
discrimine pas
|
Discrimine
|
|
Pas de
préjugés
|
Antiraciste,
pluraliste résolu
|
Pluraliste
réticent, raciste stratégique
|
Préjugés
|
Bigot timide, raciste passif
|
Bigot actif, raciste actif
|
Même si les préjugés ne mènent
pas toujours à la discrimination, ils peuvent évidemment déclencher un tel
processus. Selon Aguirre et Turner, les préjugés (croyances, opinions préconçues
adoptées sans examen ou imposée par le milieu, l’éducation, l’époque)
soulignent trop souvent, de manière imprécise et inéquitable, les
caractéristiques négatives d’un groupe ethnique. Cet imaginaire négatif sert
ensuite à légitimer la discrimination de ce groupe. Les préjugés instillent
également des émotions et des sentiments qui peuvent déclencher l’intolérance,
l’hostilité et des actes de discrimination[3].
À ce titre, nous pouvons facilement trouver, au sein de l’espace public
québécois, un ensemble de préjugés et stéréotypes visant les pauvres, jeunes,
immigrants, femmes, minorités religieuses, personnes âgées, LGBT, handicapés,
autochtones, etc.
Pour éclairer la relation entre les préjugés et la discrimination en les situant sur un continuum d’intensité, Tatum utilise l’analogie d’un tapis roulant (escalier mécanique horizontal) que l’on retrouve généralement dans les aéroports[4]. Des racistes actifs comme les personnes qui partagent l’idéologie de la suprématie blanche n’ont pas peur d’exprimer leur vision et marchent ardemment sur le tapis roulant. Les racistes passifs se tiennent debout sur le tapis sans bouger, le mécanisme les amenant dans la même direction que les racistes actifs. Certaines personnes ne souhaitent pas aller dans la même direction que les racistes et décident de se retourner ; à moins qu’ils ne marchent activement à contre-courant du tapis roulant, ils seront transportés au même endroit. Enfin, les personnes antiracistes marchent vigoureusement dans la direction opposée des racistes pour lutter contre les préjugés et toute forme de discrimination.
L’exemple du tapis roulant
illustre que le racisme n’est pas simplement le résultat de préjugés individuels,
mais un phénomène social, une pression collective nous acheminant dans une
direction particulière. De plus, le racisme ne se limite pas à une idéologie,
un dogme ou un ensemble de croyances, car il repose sur une série de normes, d’institutions,
de rapports de pouvoir et de privilèges. Cet ensemble de déterminations forme
une structure qui maintient et renforce la discrimination systématique d’un
groupe social particulier ; c’est ce que nous appelons communément une oppression. Le capitalisme, le patriarcat,
l’hétérosexisme et le colonialisme sont des structures sociales qui soutiennent
l’oppression des travailleurs, des femmes, des homosexuel-les et des peuples
dominés économiquement, politiquement et culturellement. Cette clarification
terminologique permettra de déterminer dans quelle mesure un groupe social
majoritaire est susceptible de discriminer d’autres groupes minoritaires en son
sein.
Nationalisme et
xénophobie
Si nous reprenons l’analyse des
relations entre préjugés et la discrimination, nous pouvons dégager quatre
grandes formes de nationalisme en fonction de leur rapport aux groupes
ethniques qui les composent. Le premier type, le nationalisme pluraliste,
considère que la nation représente à la fois une histoire complexe et un
processus en devenir, rassemblant une pluralité d’éléments ethniques par une
culture publique commune (la langue et les institutions). Québec solidaire
représente sans doute le seul véhicule politique explicitement fondé sur cette
interprétation de la nation québécoise.
« Pour Québec
solidaire, la nation du Québec se définit non seulement par une histoire
passée, mais aussi parce que cette nation est aujourd’hui ainsi que par les
faits et les gestes qu’elle pose ici et maintenant. Elle n’est donc pas
seulement une cristallisation d’événements passés, un "morceau d’histoire
solidifié", mais aussi et en même temps le produit d’un processus
inachevé. C’est la raison pour laquelle la nationalité québécoise doit être
définie essentiellement par le fait de vivre au sein d’une même nation et de
participer à la vie de la collectivité qu’elle incarne. La nation québécoise se
reconnaît déjà elle-même comme diversifiée aux plans ethnique et culturel, avec
le français comme langue commune d’usage ainsi que facteur d’intégration. Elle
se définit par l’histoire propre de la communauté francophone, mais transformée
peu à peu par l’intégration successive d’éléments provenant d’autres
communautés. La nation québécoise est donc ouverte aux apports extérieurs
puisqu’elle ne repose pas sur l’origine ethnique, mais sur l’adhésion
volontaire à la communauté politique québécoise. »
De plus, sa position
sur la laïcité des institutions, son pluralisme et son féminisme l’amène ainsi
à lutter contre de multiples formes de domination au travail et dans la sphère
publique. En prenant l’exemple du projet de Charte des valeurs québécoises, les
femmes musulmanes voilées devront subir non seulement une discrimination à
cause de leur identité religieuse, mais une oppression supplémentaire en restant
confinée au foyer et sous la tutelle de leur mari. Seul un nationalisme
progressiste, féministe et pluraliste peut éviter ce genre de
discrimination.
Le deuxième cas de
figure est celui du nationalisme simple
ou sans adjectif. Il se caractérise par l’absence apparente de préjugés envers
certains groupes, et ne mène donc pas forcément à la discrimination de certaines
catégories de la population. Pour reprendre l’exemple de la Charte, un candidat
à la chefferie d’Option nationale, Sol Zanetti, fournit une critique
intéressante du projet du Parti québécois et prône le métissage. Pourtant, il
continue de prôner que les enseignant-es de l’école primaire et secondaire ne
devraient pas porter de signes religieux afin de ne pas nuire à la liberté de
pensée[5].
Par ailleurs, le nationalisme sans adjectif souhaite généralement rassembler
toutes les personnes portant le projet d’indépendance nationale, peu importe
les distinctions en termes gauche/droite. Cette stratégie, visant à atténuer
les divisions et forger un consensus autour de la question nationale, considère
qu’il est possible de mettre les nationalistes progressistes et les
nationalistes conservateurs dans un même panier.
Or, le nationalisme
conservateur considère que la nation repose avant tout sur la culture
majoritaire, épousant davantage un modèle d’homogénéité culturelle et
d’assimilation des personnes immigrantes. Par ailleurs, le fait de mettre la
question sociale en second plan consiste à tolérer l’exploitation économique et
les inégalités en termes de classes, légitimant ainsi une forme d’oppression
sociale. Le fait de privilégier la lutte de libération nationale au dépens des
autres enjeux (justice, inégalités entre les hommes et les femmes, colonialisme, etc.) consiste donc à
écarter, à invisibiliser des formes de discrimination au profit d’une
oppression « supérieure ». C’est pourquoi le nationalisme simple, qui
n’est pas anti-progressiste mais a-progressiste, est par le fait même
discriminatoire sans le vouloir.
Le
virage nationaliste conservateur
Le troisième type de
nationalisme peut être qualifié de conservateur ou identitaire. Mathieu
Bock-Côté peut être considéré comme le grand représentant et théoricien de
cette idéologie, qui dirige maintenant les stratégies politiques du Parti
québécois. Dans son article SOS PQ du 19 janvier 2012, Bock-Côté constatait
lucidement l’impasse du projet souverainiste officiel (associé au nationalisme
simple) en indiquant la marche à suivre pour le PQ. Cet article, anticipant
d’un an et demi le populisme autoritaire du PQ, mérite d’être cité
longuement :
« Pour cela, il faut une
nouvelle stratégie. Le PQ a longtemps cru qu’il devait jouer au « bon gouvernement »
pour gagner. Cette fois, c’est perdu d’avance. La respectabilité médiatique
qu’il quête piteusement se paie du prix de son insignifiance idéologique. Tout
au contraire, le PQ doit préciser son offre politique. Il ne doit plus suivre
les débats. Mais les créer. Et polariser. Cela implique de mettre de l’avant
des idées fortes qui attireront l’attention sur lui pour d’autres raisons que
ses déboires. Il a deux options. La première, c’est l’alliance à gauche. Avec
Québec solidaire (QS). C’est la mauvaise idée du jour. Le PQ perdrait sa
crédibilité chez ceux que le folklore gauchiste radical n’excite pas. Par
ailleurs, il prendrait comme remède le poison qui l’a tué. C’est parce que le
PQ est devenu le relais politique de la bureaucratie que la classe moyenne s’en
éloigne. Doit-il se lier absolument avec une social-démocratie en
déroute ?
La deuxième option, c’est un vrai
virage nationaliste. Mais, dans ce cas, parler de souveraineté avec un
haut-parleur ne suffira pas. Il faudra miser sur l’identité ! Au
programme : langue, laïcité, immigration, enseignement de l’histoire et
démocratie. Par exemple, il doit faire de la lutte pour la francisation de
Montréal une priorité. De même, il doit se poser comme l’adversaire des
accommodements raisonnables multiculturalistes. Et proposer une charte de la
laïcité qui ne censure pas notre héritage catholique. Il devrait aussi rajuster
les seuils d’immigration selon nos capacités d’intégration. Elles ne sont pas
infinies. Les curés de la rectitude politique l’insulteront ? La majorité
silencieuse, elle, applaudira. De même, le PQ devrait changer sa manière de
promouvoir l’indépendance. Il devrait faire le procès du régime canadien. Celui
de 1982. Du multiculturalisme. De la Cour suprême et du gouvernement des juges.
De la religion de la Charte des droits et de la négation de la souveraineté
populaire. Par ailleurs, un tel virage donnerait au PQ un avantage sur ses
adversaires menottés sur la question identitaire. Les libéraux sont prisonniers
de leur base anglophone. La CAQ de ses coalisés fédéralistes venus du PLC. Mais
ce virage nationaliste serait contradictoire avec le programme de QS,
ouvertement multiculturaliste. Je répète : le discours qui peut sauver le
PQ sera censuré s’il s’allie avec QS. Plus fondamentalement, un virage
nationaliste sortirait le PQ d’une vieille impasse idéologique. »[6]
En effet, le nationalisme
identitaire consiste à asseoir la citoyenneté non sur les droits et libertés,
la langue et les institutions politiques, mais sur l’identité, l’appartenance
culturelle de la majorité historique. « De
quelle manière connecter la citoyenneté à l’identité, comme l’avait proposé le
PQ en 2007, d’ailleurs, en voulant créer une citoyenneté québécoise dont
l’obtention serait liée, pour les nouveaux arrivants, à une connaissance des
grands repères de la culture québécoise. […] L’enjeu fondamental, c’est celui
de la conscience historique. C’est celui d’une appartenance non pas seulement à
la société québécoise, mais au peuple québécois, à la nation québécoise. L’éducation
historique est indispensable, de ce point de vue, parce qu’elle se présente
justement comme une «école du particulier» : elle permet de s’inscrire
dans la trame d’un destin collectif. Elle permet de s’approprier un passé et
conséquemment, de s’approprier aussi l’imaginaire collectif sans lequel la
citoyenneté ne serait qu’une estampe administrative parmi d’autres. »[7]
Le projet de Charte
des valeurs québécoises est donc non seulement une mesure partisane et
électoraliste, mais le fruit d’un biais idéologique favorisant la majorité
culturelle au détriment des minorités ethniques. La Charte est fondée sur une
vision étroite de la nation québécoise associée à des stéréotypes négatifs de
certains groupes ethniques et religieux, dont les femmes musulmanes en
particulier. Bien que des préjugés privilégiant la « culture
nationale » ne mène pas forcément à la discrimination effective de
certains groupes minoritaires, le nationalisme identitaire sert souvent de
détonateur au racisme larvaire présent dans la société, et peut même aboutir
sur l’institutionnalisation de l’exclusion sociale.
Dans ce dernier
cas, nous avons l’exemple du nationalisme raciste ou xénophobe, à la manière de
la Fédération des Québécois de souche et certains groupes d’extrême-droite en
France, comme Génération identitaire ou le Front national. La principale
différence entre le nationalisme identitaire et le nationalisme xénophobe,
c’est que le deuxième est affiché et combatif, tandis que le premier est
davantage diffus, idéologique et ouvert à une discrimination potentielle de
certains groupes. La différence réside donc entre l’acte et la puissance. Pour
reprendre l’analogie du tapis roulant, le nationalisme raciste court vers
l’oppression ethnique, le nationalisme conservateur se tient debout et
s’achemine tranquillement dans la même direction, le nationalisme sans adjectif
se retourne pour ne pas voir cette discrimination mais y aboutit de toute
façon, tandis que le nationalisme pluraliste marche ardemment en direction
inverse et lutte contre toutes les formes de préjugés, stéréotypes et
discriminations des minorités.
Nationalisme et intersectionnalité
Si l’analyse précédente s’est davantage penchée sur l’articulation entre nationalisme et minorités culturelles, nous pouvons essayer d’étendre cette perspective par l’approche intersectionnelle. Celle-ci stipule qu’il est nécessaire de tenir compte de l’ensemble des discriminations et de leurs relations, que ce soit en termes de classe, genre, ethnicité, sexualité, capacité, âge, etc. Or, il est également possible qu’une telle grille d’analyse fasse abstraction de la nation québécoise en traitant celle-ci comme une majorité. C’est pourquoi il est possible de dégager quatre types d’attitudes en fonction qu’elles considèrent ou non la minorité nationale d’une part, et les multiples formes de discrimination d’autre part.
Le premier type d’attitude peut
être nommée « nationalisme émancipateur ». Cette perspective tient
compte de l’oppression nationale du peuple québécois qui a été historiquement
colonisé et politiquement subordonné au régime fédéral canadien. Mais il
articule également la question nationale à la question sociale, comme dans les
années 1960 et 1970 où les oppressions linguistiques/ethniques coïncidaient
largement avec la domination de classes. Tant les
classes paysannes et ouvrières canadiennes-françaises que la petite bourgeoisie
francophone montante étaient dominés par la grande bourgeoise commerciale
anglophone, d’où l’appel initial de l’indépendantisme comme lutte de libération
nationale et tremplin pour l’émancipation sociale. Son expression idéologique
la plus claire prend la forme du nationalisme décolonisateur ou révolutionnaire,
que nous retrouvons dans les écrits de la revue Parti Pris ou le livre Nègres blancs d’Amérique de Pierre
Vallières.
Cependant, le
slogan « socialisme et indépendance » se limite à l’intersection de
la majorité sociale (prolétariat, classes moyennes et populaires) et la
majorité nationale en position de minorité au sein du Canada. Cette approche ne
tient pas compte de la lutte de libération des femmes et des autochtones, de la
diversité culturelle, de l’exploitation des non-humains et des luttes de
libération d’autres peuples dans le monde. C’est pourquoi une approche
intersectionnelle doit se refléter par une posture de gauche, féministe,
pluraliste, écologiste, indépendantiste et altermondialiste. Les principes de Québec
solidaire renvoient à l’articulation logique de ces différentes valeurs, qui ne
sont pas seulement une liste d’épicerie mais le résultat d’une analyse
intersectionnelle implicite. De manière générale, la gauche peut être définie
comme l’application politique de la critique intersectionnelle, ou encore comme
le combat articulé contre toutes les formes de domination. Si nous reconnaissons
l’existence de l’oppression nationale dans le cas québécois (cela reste à
démontrer dans les détails mais nous prenons ce fait pour évident), alors une
gauche conséquente doit clairement appuyer la lutte pour l’émancipation
nationale.
Dans le deuxième cas, le
nationalisme simple, autocentré ou chauvin privilégie la question nationale au
détriment des autres enjeux de justice sociale, de pluralisme, etc.
Historiquement, le souverainisme incarna cette tendance visant à rallier les
indépendantistes et nationalistes étapistes, socio-démocrates et néolibéraux
sous un même chapeau. Si nous reprenons l’analyse de la section précédente, le
nationalisme sans adjectif, conservateur et raciste peuvent tous être rangés
dans cette catégorie par le seul fait qu’ils ne tiennent pas compte des
différentes formes de discrimination. Seul le nationalisme pluraliste peut
aspirer au rang du nationalisme émancipateur, à condition qu’il prenne
sérieusement en compte l’approche intersectionnelle.
Dans le troisième cas, nous avons
une perspective qui s’intéresse aux différents rapports de domination en termes
de classe, genre, ethnicité, capacité, etc., sans tenir compte de la question
nationale ou du fait que le peuple québécois est minoritaire et discriminé au
Canada. Nous avons ainsi une forme de gauche antinationaliste, à la manière de
certains anarchistes qui associent toute forme de nationalisme au chauvinisme.
Le mérite de l’approche intersectionnelle élargie est de considérer que la
nation peut également faire partie de cette grille d’analyse, et qu’il est
possible de démarquer un nationalisme solidaire d'un nationalisme replié sur lui-même. Dans cette approche, nous pouvons également inclure
la gauche fédéraliste modérée, qui milite davantage pour la justice sociale et
considère que la question nationale représente un enjeu secondaire, et
l’indépendance comme un projet non nécessaire.
Finalement, la quatrième figure
est celle de l’indifférence ou du conservatisme. Celle-ci peut être le résultat
d’une ignorance des enjeux, de la polarité gauche/droite, des multiples formes
de discrimination ou de l’histoire particulière du Québec. Mais cette attitude
peut également découler d’un désir ardent de défendre l’ordre social dans sa
forme actuelle, avec son système de privilèges, d’inégalités sociales, de
domination, etc. Qu’elle soit active et passive, cette perspective conduit au
maintien du statu quo.
Intersectionnalité
|
Pas
d’intersectionnalité
|
|
Prise
en compte de la question nationale
|
Nationalisme
émancipateur
|
Nationalisme
simple, autocentré ou chauvin
|
Absence
de la question nationale
|
Gauche anti-nationaliste
(anarchisme, gauche fédéraliste) |
Indifférence/conservatisme
|
Trois modèles
d’intégration
Pour revenir à la question du
rapport entre la nation et l’intégration des minorités, il est possible de
dégager trois grands modèles d’intégration à partir de la prise en compte de la
minorité nationale et des discriminations ethniques. La première voie prend en
compte le « double statut de la francophonie québécoise comme majorité
culturelle au sein du Québec, comme composante principale d’une nation
minoritaire au sein du Canada et comme minorité culturelle sur le
continent. »[8] Il
s’agit évidemment de l’interculturalisme, qui soutient le respect des droits et
libertés fondamentales, le pluralisme et le rejet de toute forme de
discrimination, mais également la promotion du français comme langue principale
de la vie civique et la culture commune. L’interculturalisme représente une
forme de nationalisme « dialogique » cherchant à harmoniser
l’intégration et les échanges entre la majorité et les minorités.
Contrairement à plusieurs
préjugés, l’interculturalisme ne doit pas être confondu avec le second modèle
d’intégration, le multiculturalisme, qui favorise la diversité culturelle sans
tenir compte du statut particulier de la nation québécoise au sein de l’État
canadien. Cette politique a été élaborée par Pierre Elliott Trudeau afin de
prôner la coexistence de différentes cultures sans les obliger à adopter une
identité commune, minimisant ainsi la vulnérabilité du peuple québécois qui
passait alors de peuple fondateur à une communauté culturelle parmi d’autres.
Le modèle interculturel est précisément basé sur la tension et le dialogue
entre majorité et minorité, tandis que le multiculturalisme prône l’égalité
formelle des minorités et l’absence d’une majorité qui serait vectrice
d’intégration. Les nationalistes sont unanimement en défaveur de cette
politique d’intégration car elle encourage l’invisibilisation de la spécificité
nationale et ne permet pas de protéger adéquatement la langue et la culture
commune.
Cependant, les nationalistes ne
soutiennent pas tous le même modèle d’intégration. Si certains prônent
l’interculturalisme et le pluralisme, d’autres privilégient les approches
républicaines, jacobines, identitaires, assimilatrices ou laïcistes. La
perspective républicaine ne renvoie pas ici au principe d’autogouvernement du
peuple, la démocratie et la citoyenneté active, mais au modèle français qui place
l’identité nationale et les valeurs collectives au-dessus des libertés
individuelles en matière de religion. Par ailleurs, si l’interculturalisme
défend la laïcité en appliquant ce
principe aux institutions et non aux personnes, le laïcisme souhaite réduire la vie religieuse des citoyens à la seule
sphère privée, hors de toute manifestation sociale et politique. Ainsi, le
modèle laïciste ou identitaire n’encourage pas la neutralité de l’État à
l’égard des différentes formes de la vie religieuse, mais encourage l’athéisme
ou encore la préservation de l’identité nationale par le biais de symboles associés
à la culture majoritaire.
La Charte des valeurs québécoises
est un bon exemple de ce modèle qui reconnaît le besoin de protéger la nation
québécoise, mais interprète cette exigence comme le fait qu’il faut la prémunir
contre les excès des minorités ethniques qui tentent de l’assimiler.
L’islamophobie est à la fois une justification de ce modèle d’intégration, et un effet de cette
politique qui entretient les préjugés négatifs vis-à-vis l’islam et conduit à une discrimination systématique de ce groupe religieux. Comme le rappelle Bock-Côté, l’objectif de la Charte
n’est pas de prôner la laïcité mais de défendre l’identité nationale. Ce projet
soutient une interprétation rigide de la laïcité comme moyen d’exclusion de
certains groupes indésirables.
Pluralisme
|
Anti-pluralisme
|
|
Prise
en compte de la question nationale
|
Interculturalisme
|
Modèle
républicain, jacobin, identitaire, laïciste
|
Absence
de la question nationale
|
Multiculturalisme
|
Sans objet
|
Gérer la diversité…
Selon Gérard Bouchard, la
perspective interculturaliste peut être qualifié de « pluralisme
intégrateur » parce qu’elle tente de penser ensemble le respect des droits
et libertés, la préservation d’une culture publique commune et la
reconnaissance d’une dualité irréductible entre majorité francophone et
minorités culturelles. Pourtant, cette approche vise explicitement à fournir un
modèle de « gestion de la diversité » dans les paramètres de la
société actuelle. L’interculturalisme ne remet donc pas en question les
rapports de domination et ne vise pas une transformation sociale permettant
d’assurer l’émancipation du peuple québécois et des groupes subalternes qui le
composent.
D’une certaine manière,
l’interculturalisme peut être considéré comme une forme de nationalisme
pluraliste modéré ou réformiste. Sur le plan de la question nationale, Bouchard
reconnaît la situation épineuse du Québec : « Comme nation minoritaire
au sein du Canada, le Québec se trouve intégré dans des relations de pouvoir
qui le placent dans une position de faiblesse. D’un point de vue québécois,
l’histoire de ce rapport inégal, qui prend racine dans le régime colonial
britannique, est jalonné de tensions, de déceptions et de revers. En
conséquence, il existe au sein de la majorité francophone une très forte
conscience historique – on pourrait dire : une mémoire sous tension »[9].
Pour le meilleur et pour le pire,
Bouchard préfère garder un consensus et une approche apartisane afin que son
modèle puisse être accepté par de multiples tendances politiques (hormis les
nationalismes identitaires et xénophobes). « À cet égard, comme modèle
devant s’adresser à l’ensemble des Québécois, l’interculturalisme ne peut
évidemment pas s’inscrire sous une bannière partisane, mais il ne peut pas non
plus ignorer les aspirations que recouvrent la question nationale et ses
ramifications, tout comme les conséquences qui en découlent sur les modalités
d’intégration – par exemple, le fait que le Québec ne soit pas un État
souverain ajoute des éléments de vulnérabilité que j’ai déjà évoqués et impose
des restrictions à l’avenir de l’interculturalisme. »[10]
Bien qu’il reconnaisse cette
limite structurelle, Bouchard préfère évoquer l’idée de la promotion de valeurs
universelles forgées dans le passé québécois (affirmation, respect de soi,
égalité, justice, solidarité) et de promouvoir « l’enseignement de
l’histoire nationale en mettant en valeur sa trame principale, qui est celle de
la majorité fondatrice, mais avec le souci d’y intégrer les héritages des
minorités en misant sur la part des concordances et des passerelles entre les
diverses trames »[11].
Il s’agit donc d’atténuer les effets de l’oppression par l’affirmation nationale,
au lieu de combattre la cause du problème en revendiquant l’indépendance du Québec. Il
propose ainsi une voie mitoyenne entre le Parti québécois et Québec solidaire,
par une sorte de Charte des valeurs « progressiste » et l’équilibre
entre l’histoire nationale et celle des femmes et autochtones par exemple. Son
« devoir de réserve » ou sa neutralité l’amène donc à accepter la
situation inégale actuelle et à vouloir gérer les rapports complexes entre une
majorité inquiète et des minorités en mal d’intégration.
Sur le plan social, Bouchard
tient compte des multiples contraintes pouvant faire obstacle au respect des
droits et libertés dans l’esprit du pluralisme et de la démocratie. C’est
pourquoi il déduit quatre principaux impératifs : « a) l’insertion
économique et sociale de tous les citoyens ; b) la lutte contre les
inégalités et les rapports de domination qui briment les minorités et les
immigrants ; c) le rejet de toute forme de discrimination ou de
racisme ; d) la nécessité d’assurer la participation de tous les citoyens
à la vie civique et politique. »[12]
Il s’agit clairement d’une position antiraciste, s’inspirant des principes de
l’égalitarisme libéral et de la social-démocratie.
Bien que l’interculturalisme se
rapproche d’une analyse intersectionnelle à certains égards, les quelques
références à l’égalité hommes/femmes et la solidarité demeurent formelles et
anecdotiques, celles-ci relevant davantage des « valeurs québécoises
partagées » et de principes qui sont ajoutés après coup.
Elles ne sont pas des conséquences logiques de la perspective, des éléments
constitutifs et essentiels de l’interculturalisme, mais des propositions
contingentes visant à améliorer l’aménagement de la diversité. La relation
entre le modèle d’intégration et la justice sociale est donc relativement
faible et instrumentale, la critique des inégalités servant à rendre effectifs
les droits et libertés fondamentales des individus à l’intérieur d’une
démocratie libérale et d'une économie de marché tempérées par les normes du
vivre-ensemble.
…ou changer la
société ?
À la différence du modèle
interculturaliste, le nationalisme émancipateur ne vise pas à atténuer les
effets négatifs de la situation de minorité nationale confrontée à l’épineuse
question de la diversité culturelle à l’intérieur du système capitaliste, mais
à combattre les structures d’oppression responsables de cette tension et transformer les rapports de domination. C’est pourquoi il peut être qualifié
d’émancipateur ; il cherche à arrimer le projet de libération nationale à
l’intérieur d’une lutte globale pour l’émancipation sociale.
Cette perspective constitue un
approfondissement critique du pluralisme qui, contrairement au libéralisme, ne
se contente pas d’un idéal de justice devant s’appliquer à une réalité
considérée comme donnée. D’une certaine manière, l’interculturalisme correspond
à l’idéal normatif de la société actuelle, le sens commun de notre époque, mais
ne peut aspirer à servir de tremplin à l’élaboration d’une autre société. Comme
l’affirme Benoit Renaud suite à une discussion portant sur son compte rendu du
livre de Gérard Bouchard[13] :
« Le morceau qui manque, à mon avis, est la
reconnaissance explicite de la réalité de l'oppression, tant du côté du peuple
québécois que des minorités issues de la colonisation et du néocolonialisme.
C'est du libéralisme de gauche souverainiste, mais pas une vision
écosocialiste, indépendantiste et solidaire. »
Le nationalisme émancipateur
suppose la critique du capitalisme, du patriarcat et de l’oppression nationale,
ainsi que l’élaboration de perspectives stratégiques visant à transformer la
société québécoise. À ce titre, il n’est pas possible de se contenter d’une
dualité entre une majorité francophone et des minorités ethniques, comme s’il
fallait seulement gérer les problèmes inhérentes à cette tension en évitant le
clivage Eux-Nous par une recherche d’équilibre. Il est nécessaire de
reconnaître les limites structurelles de cette approche, et non simplement les esquiver en cherchant une position pouvant être acceptée par toutes les
tendances politiques. Il ne suffit pas de constater les contradictions
actuelles ; il faut les surmonter.
Enfin, il est probable que
l’interculturalisme sera toujours menacé de l’intérieur par son négatif (le
nationalisme identitaire) tant qu’il n’aura pas remis en question les
structures responsables de la tutelle du peuple québécois et de sa propension à
l’affirmation nationale pouvant mener à l’oppression des groupes subalternes. Il
s’agit d’appliquer l’analyse intersectionnelle à la question nationale afin de
promouvoir un égalitarisme démocratique radical luttant contre toutes les
formes de domination. Le nationalisme émancipateur doit prendre le relais de l’interculturalisme,
radicaliser ses exigences et les insérer dans un projet de transformation
sociale visant à renverser les deux formes de l’oppression nationale : la
subordination politique et économique du Québec, et la discrimination des minorités.
[1] Cette section
est tirée du livre Dorceta E. Taylor, The Environment and the People in
American Cities, 1600s-1900s. Disorder, Inequality, and Social Change, Duke
University Press, London, 2009, pp.9-10
[2] Robert K.
Merton, « Discrimination and the Amercain Creed », in R.H. MacIver
(ed.), Discrimination and National
Welfare, Harper and Row, New York, 1949, pp.99-126
[3] Adalberto
Aguirre et Jonathan Turner, American
Ethnicity. The Dynamics and
Consequences of Discrimination, McGraw-Hill,
New York, 1998, p.13
[4] Beverly Daniel
Tatum, Why are all the Black Kids Sitting
Together in the Cafeteria ? and Other Conversations about Race,
HarperCollins, New York, 1999, pp.11-12
[5]
http://solzanetti.org/2013/08/27/le-debat-sur-la-laicite-part-mal/
[6] Mathieu
Bock-Côté, SOS PQ, 12 janvier 2012 http://www.vigile.net/SOS-PQ
[7] Mathieu
Bock-Côté, Valeurs québécoises :
mauvaise formule pour une bonne idée, Le journal de Montréal, 23 août 2013
[8] Gérard
Bouchard, L’interculturalisme. Un point
de vue québécois, Boréal, Montréal, 2012 p.22
[9] Ibid., p.22
[10] Ibid., p.23
[11] Ibid., p.23
[12] Ibid., p.52
[13]
http://leblogueursolidaire.blogspot.ca/2013/09/reflexion-autour-de-linterculturalisme.html
L'exemple du "tapis roulant du racisme" m'intrigue : je croire comprendre que ce qu'il y a à la fin du tapis roulant c'est "le racisme actif". Mais à quoi correspond le mouvement et/ou le moteur du tapis roulant? Quel serait le MOTEUR qui mène la société vers ce racisme, qui dans cet exemple semble inéluctable à moins d'une course-bousculade à contre-courant?
RépondreSupprimerLa "nature humaine" ? (à laquelle il faudrait à tout prix opposer une certaine culture anti-raciste?)
Parce que pour l'instant l'existence de ce tapis roulant me semble aussi douteuse que celle de la fameuse "main invisible du marché".
Je pense que c'est de par la nature même des nationalismes, qui s'exacerbent par le contraste qui distingue ce qui appartient à la nation de ce qui ne lui appartient pas. Dès lors, à force d'associer le nationalisme à une identité particulière, il revient de fait à rejeter les autres. Lorsqu'on considère que les frontières nationales sont à plusieurs égards des frontières ethniques, il m'apparait comme naturel pour les courants nationalistes de tendre vers le racisme. Ceci étant dit, ce penchant naturel vers la discrimination ne nous soustrait pas de notre capacité à choisir de la combattre tout en revendiquant un nationalisme. C'est ma compréhension de cette métaphore.
SupprimerIl s'agit d'une excellente question. La réponse se trouve en partie après la métaphore du tapis roulant, qui spécifie que le racisme ne relève pas de la nature humaine, ni de croyances individuelles, mais d'une structure sociale, un ensemble de normes, institutions, préjugés, privilèges et rapports de pouvoir qui discriminent systématiquement un groupe social au dépens de l'autre. Pour reprendre le langage du sociologue Durkheim, il s'agit d'un "fait social". Celui-ci peut être défini par plusieurs critères : généralité (le fait social est marqué par une certaine fréquence dans la population), extériorité (il transcende l'individu et se trouve dans la sphère sociale), historicité (il a émergé quelque part dans l'histoire et ne vient donc pas d'un ordre naturel) et pouvoir coercitif (le fait social s'impose aux individus).
SupprimerCet pourquoi les individus, par eux-mêmes, ne peuvent pas échapper au fait social (raciste) seulement en se fermant les yeux, car il est assez robuste pour s'imposer si nous n'y résistons pas activement.
Il est possible de nier l'existence de tels faits sociaux ou structures d'oppression si nous adoptons une ontologie ou méthodologie individualiste, mais encore une fois je crois qu'il serait possible de décrire le racisme en termes de mécanismes étudiés dans la psychologie sociale, ce phénomène étant assez robuste pour maintenir la discrimination systématique d'un groupe par un autre. C'est pourquoi ce type d'explication ne renvoie pas à un procédé magique comme la main invisible du marché, un ordre spontané, mais au contraire à une construction sociale forgée par l'histoire et qu'il est possible de modifier par le biais de l'action collective.
Question d'édition : votre journal est en référence dans mon blogue, mais la mise à jour de ce récent texte ne se fait pas. Avez-vous idée pourquoi?
RépondreSupprimer(Au demeurant, toujours stimulant de vous lire.)
Jacques
J'en ai aucune idée malheureusement. Il sera peut-être mis à jour prochainement.
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