Contre-objections à la double constitution : réflexion sur le sens du processus constituant
La proposition de donner à l’assemblée constituante le mandat de rédiger une constitution indépendantiste et une constitution provinciale soulève des objections pertinentes. Celles-ci doivent être absolument prises en compte pour saisir non seulement la dimension idéologique de la stratégie, mais les conséquences pratiques du processus constituant. Je remercie d’ailleurs les commentaires critiques d’Anton Walbrook qui permettent d’approfondir la réflexion collective et de dénicher les pièges potentiels d’une idée aux allures « électoralistes », d’autant plus qu’il reprend la logique de mes précédents propos sur la nécessité de sortir du discours « calinours » et de penser la révolution citoyenne à partir d’une vaste mobilisation populaire.
Première objection
« Dans de telles circonstances où la population seraient
mobilisée et radicalisée (ce qui est absolument nécessaire pour la réussite
d'une telle entreprise), à quoi bon proposer une sortie de crise mitoyenne ? »
Si cette hypothèse sur le contexte
socio-politique sous-jacent à l’élection d’un gouvernement solidaire est bien
fondée, ne rend-elle pas caduque l’idée d’offrir une alternative provincialiste
à la population par référendum, la majorité étant d’emblée convaincue par la
nécessité de l’indépendance ? Cette dernière prémisse est fausse, car il
est tout à fait probable qu’un gouvernement de gauche soit élu avec seulement
30% ou 40% des voix, sans compter la possibilité théorique d’un gouvernement
souverainiste mixte (PQ+QS) qui initierait une démarche constituante sans qu’il
y ait nécessairement une majorité populaire radicalisée. Dans tous les cas, il
faut envisager que si le peuple sera en partie convaincu par le projet
d’indépendance et de transformation sociale avant l’élection, le processus de
radicalisation se poursuivra et sera amplifié par la double rupture initiée
simultanément par le gouvernement solidaire (sur le plan socio-économiques) et
l’assemblée constituante (sur le plan constitutionnel). D’ailleurs, l’un des
objectifs du processus constituant est justement de forger une volonté
collective qui n’est pas donnée d’emblée, en accélérant le processus historique
en cours par l’élaboration démocratique d’une conscience nationale et sociale.
Par ailleurs, il ne s’agit pas de proposer une
sortie de crise « mitoyenne », mais de mettre en évidence
l’alternative politico-constitutionnelle qui devra être tranchée par la
population lors du référendum. Que le résultat ultime soit un Non (dans le cas
du rejet d’une constitution indépendantiste) ou un Oui (pour une constitution
provinciale), la stratégie d’accession à la souveraineté aura échoué. Dans un
cas comme dans l’autre, il n’y a pas de garantie. Mais nous devons nous
demander tout de même quelle est la stratégie qui permettra de réduire la
probabilité d’une défaite.
Deuxième objection
« À quoi
sert donc cette seconde option de «constitution provinciale» sinon à
transformer la constituante en une espèce de stratégie étapiste qui vise à
rallier les fédéralistes et modérés, leur laissant un nouvel espace pour
s’organiser et préparer une contre-attaque ? »
Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une stratégie
étapiste comme le préconisent certains souverainistes dans la lignée du Parti
québécois, qui souhaitent d’abord rédiger une constitution provinciale adoptée
par l’Assemblée nationale, faire un référendum sur l’indépendance, puis lancer
une assemblée constituante après la victoire du Oui. L’étapisme suppose
plusieurs étapes, alors que la stratégie proposée implique un seul mouvement,
qui permettra de trancher une fois pour toute la question nationale. Dans le
cas des deux derniers référendums, la question restait ouverte car le Québec
n’a jamais signé la constitution canadienne, et n’avait pas choisi positivement
son statut politique, votant plutôt pour le statu quo. Ce n’était que partie
remise, et il en serait de même si l’assemblée constituante devait
exclusivement rédiger la constitution d’un Québec indépendant et si le peuple
rejetait l’indépendance une troisième fois. Dans l’éventualité où le peuple
québécois adopterait la constitution provinciale, il signerait définitivement
sa dépendance nationale en entrant dans la constitution canadienne, referment
ainsi la brèche historique de la souveraineté. Nous pouvons dire que le
troisième référendum sera le dernier, et c’est pour cette raison qu’il ne faut
pas manquer notre coup.
Il est donc crucial de ne pas donner à nos
adversaires « un nouvel espace pour sévir », une arme supplémentaire sur un plateau d'argent. Le fait de proposer à
l’assemblée citoyenne tirée au sort de rédiger deux projets de constitution
permettrait-il à ceux-ci de contre-attaquer ? Nous supposons à l’inverse
que le fait de restreindre le mandat de l’assemblée constituante à la seule
option indépendantiste donnera des armes aux fédéralistes qui rétorqueront que
la gauche indépendantiste aura confisqué la souveraineté populaire à son
avantage. Ils attaqueront non seulement le projet indépendantiste, mais la
légitimité même du processus constituant. Cela augmenterait la méfiance d’une
partie non négligeable de la population à l’égard de la démarche ;
l’attention publique sera rivée sur le caractère acceptable ou non de
l’assemblée citoyenne, et non sur l’objectif du processus constituant, à savoir
la résolution de la question nationale par l’élaboration démocratique du projet
de pays.
C’est pourquoi il faut s’assurer que
l’assemblée constituante repose sur un large consensus national, avant et pendant
le processus de délibération. Cela implique de montrer qu’elle peut inclure
tous les points de vue, en montrant les avantages et inconvénients respectifs
de chaque option, tout en permettant au peuple de décider, lors du référendum,
du type d’État quelle veut se donner. Cette stratégie, apparemment réformiste
et modérée, est néanmoins beaucoup plus radicale si on regarde les conséquences
pratiques initiée par une comparaison systématique de deux projets
constitutionnels. En effet, l’alternative ne sera plus entre l’indépendance et
le statu quo, entre une rupture risquée et le confort de l’ordre existant, mais
entre un projet de pays et un projet de province (!), entre une République
libre et une constitution limitée. La deuxième option risque-t-elle de
mobiliser largement, de soulever l’enthousiasme populaire, au même titre qu’une
constitution qui aura les coudées franches pour exprimer les valeurs, institutions
et aspirations collectives du peuple ? Cela mettrait-il en évidence la
différence fondamentale entre une ancienne constitution (rendue explicite) qui
favorise les classes dominantes, et une constitution qui pourra inclure des
droits sociaux inédits, un nouveau partage du pouvoir politique, et d’autres
innovations qui ne sont pas possibles à l’intérieur du carcan canadien ?
Le contraste serait saisissant !
Par ailleurs, les fédéralistes ne pourraient
plus miser exclusivement sur la peur de la souveraineté et l’attachement à
l’identité canadienne, car ils devraient promouvoir positivement leur
constitution à demi-teinte, le monarchisme constitutionnel, quelques principes
formels qui ne seraient que l’expression juridique de l’ordre existant, et non
le projet politique d’une nouvelle société. Ils apparaitront ainsi clairement
comme les conservateurs, les défenseurs d’un modèle social qui limite
substantiellement la démocratie et la liberté populaire. Même si les
fédéralistes auront la chance de participer aux consultations publiques pour
influencer la forme de la constitution provinciale, celle-ci ne pourra jamais
être aussi emballante que le projet républicain. Enfin, les fédéralistes auront
non seulement à répudier l’idée de souveraineté, mais à critiquer la forme
démocratique d’un nouvel État qui demande à naître. Ils ne pourront pas non
plus attaquer, bouder ou boycotter le processus constituant, car ils y
participeront directement.
Autrement dit, au lieu de rejeter les
fédéralistes de l’assemblée constituante en leur donnant l’occasion de
critiquer le projet de pays et le processus qui permet de l’élaborer, ils
seront pris dans le filet de la souveraineté populaire et n’auront pas le choix
de combattre le projet de République libre du Québec. Ils seraient alors
considérés comme des anti-républicains, les défenseurs des élites économiques
et politiques, et non comme les porteurs d’un projet positif et libérateur. La
stratégie de la double constitution permet ainsi de forcer les
non-souverainistes à entrer dans le jeu du processus constituant, ceux-ci ne
pouvant plus le critiquer de l’extérieur ; ils seront obligés de se
soumettre aux règles du jeu, et de jouer le rôle inconfortable de promoteur d’une
option moins attrayante. Les classes dominantes, qui « ont d’ailleurs
partout tenter de déstabiliser le processus constituant tout en décrédibilisant
ses travaux », seraient forcées de promouvoir un « projet de
province », une constitution bornée.
Troisième objection
« Le
processus constituant – s’il vise (et seulement à cette condition) à dessiner
les contours d’un Québec libre et transformé - ouvrira un nouvel espace où le
reste de la population potentiellement « convaincable » pourra
s’inscrire et être mobilisée, alors que les forces réactionnaires n’auront
d’autre choix que de s’exclure du processus sous peine de le légitimer.
Permettre aux forces de la réaction de s’inscrire dans la constituante ne
ferait qu’arracher ce symbole du renouveau démocratique des mains de la
population en lutte pour en faire un outil neutre et institutionnel. Ouvrir la
voie à une alternative (constitution québécoise), c’est laisser croire que
celle-ci est possible, ce qui est faux. »
Avec la rédaction de deux projets constitutionnels
qui seront comparés systématiquement, toute la population sera mobilisée à
peser les mérites et inconvénients de chaque option, l’alternative
indépendantiste et républicaine ayant sans doute très peu de désavantages. Les
« forces réactionnaires » ne seraient pas exclues du processus
constituant pour le délégitimer, mais n’auraient pas d’autre choix que de
l’appuyer. Le fait de les inclure les poussera à rédiger la constitution
provinciale la plus conservatrice possible, réduisant d’autant plus son
attractivité. Si nous pouvons anticiper qu’une minorité de nationalistes
conservateurs tenteront d’influencer la constitution indépendantiste, la
majorité des « forces progressistes » tentera d’élaborer la structure
politique et institutionnelle la plus libre qui soit, en forgeant un projet de
pays aux contours démocratiques et populaires.
Autrement dit, le processus constituant aura
le mérite de faire converger dans un nouveau contexte historique les forces
souverainistes et progressistes qui étaient opposées aux forces libérales et
fédéralistes durant la Révolution tranquille. Tant les classes paysannes et
ouvrières canadiennes-françaises que la petite bourgeoisie francophone montante
s’opposaient « objectivement » à la grande bourgeoise commerciale
anglophone à cette époque. D’où l’appel initial de l’indépendantisme comme
lutte de libération sociale et nationale dans les années 1960 et 1970,
qui pourra revenir sous un nouveau jour par la construction d’une unité
populaire forgée avant et pendant le processus constituant.
Ensuite,
ouvrir la voie à l’option provincialiste n’est pas trompeur, car une
constitution provinciale est juridiquement et techniquement possible, comme le
montre l’exemple de la Colombie-Britannique. S’il ne s’agit pas d’une « alternative
politique » au sens fort du terme, c’est parce que nous sommes déjà une
province, la constitution provinciale ne faisant qu’expliciter l’ordre
existant. Est-il pire d’adopter une telle constitution que rien du tout ?
En tant qu’indépendantiste, cela fait peu de différence. Mais le fait de rendre
visible notre situation de dépendance nationale et la domination de l’État
canadien rendra d’autant plus probable l’émergence d’une volonté collective
visant l’auto-institution de la société. L’assemblée constituante ne représente
donc pas un « outil neutre et institutionnel », mais le véhicule
démocratique d’une population en lutte.
Quatrième objection
« Je soupçonne plutôt
cette nouvelle «stratégie» (que n'aurait pas renié Lévesque et Morin) de servir
uniquement à éviter l'éclatement peut-être inévitable du parti. C’est
évidemment le clivage Option citoyenne-UFP qui remonte à la surface. Cette
contradiction doit être mise de côté si ce parti veut être en bonne posture
pour participer à la mobilisation lors des crises sociales qui, on l’espère, se
profilent à l’horizon et prendre le pouvoir. C’est ce que Podemos a démontré en
Espagne comme vous l’avez vous-même souligner: ce parti a connu une croissance
rapide et a rattrapper Izquerdia Unida car il a su non-seulement parler de,
mais incarner une rupture avec l’ordre établi. Je vois mal comment QS dont même
la proposition la plus intéressante (la constituante) est affectée dans sa
forme par ses tiraillements, hésitations et oui génuflexions pourrait incarner
ce genre de volonté de rupture. »
La nouvelle proposition stratégique d’une double constitution
peut certes apparaître comme une tactique visant à concilier un antagonisme
fondamental au sein du parti, surtout si on insiste sur le « débat
déchirant » que j’ai mentionné dans mon précédent article. Mais il n’en
est rien, car cette proposition ne cherche pas à trouver un terrain neutre, une
entente mitoyenne faute de mieux, mais à dépasser l’impasse actuelle par une
stratégie radicale qui n’avait pas encore été soulevée. De plus, le débat sur
la précision du mandat de l’assemblée constituante était transversal et ne
correspondait pas à l’ancien clivage « Option citoyenne-UFP », des
membres issus des deux tendances, des radicaux et des modérés soutenant
diverses positions sur le mandat « ouvert » ou « précisé »
pour différentes raisons.
Je suis parfaitement d’accord avec le fait que la tension sur la
question nationale doit être surmontée pour que Québec solidaire assume une
posture de rupture afin de prendre le pouvoir. Si le parti a été tiraillé dans
son interprétation du rôle de la constituante, c’est parce que celle-ci est demeurée
vague et que sa fonction stratégique n’a pas été pensée jusqu’au bout. Comment
savoir à quoi un tel bidule devrait aboutir, si l’assemblée doit rédiger une ou
des propositions concernant les valeurs, le statut politique, les institutions,
sans présumer l’issue des débats ?
À mon sens, le fait de préciser que la constituante devra
rédiger deux projets de constitution permettra à la fois de clarifier la
posture de Québec solidaire à l’endroit de la population, et d’éclairer la
conscience stratégique du parti sur l’importance de la question nationale.
D’une part, celui-ci pourra affirmer sans « génuflexions » que le but
de l’assemblée constituante est de rédiger démocratiquement un projet de pays,
et de montrer au grand jour à la population les avantages d’une République
libre, démocratique et écologique, comparativement à celle d’une constitution
provinciale. La posture indépendantiste sera ainsi affirmée, en ancrant
l’objectif de la souveraineté nationale sur un processus de souveraineté
populaire légitime, mobilisateur et inclusif.
Le parti pourra ensuite répliquer aux détracteurs – qui
affirment que le processus constituant sera noyauté par les souverainistes en
excluant la majorité de la population – en disant que les fédéralistes seront
invités à participer et à faire valoir leur option de manière transparente, par
une large délibération démocratique qui permet de limiter le pouvoir de
l’argent et de la corruption. On veut éviter les dérapages du dernier
référendum et le dialogue de sourds par une nouvelle stratégie qui pourra
mettre en évidence les différences entre deux projets, ceux-ci n’étant pas
élaborés par le parti au pouvoir ou le gouvernement canadien, mais par le
peuple lui-même, rassemblée dans de vastes assemblées populaires et une assemblée
citoyenne tirée au sort. Il n’y a pas de contradiction à montrer que le but de
la démarche constituante est de faire un pays, et de laisser une place aux
provincialistes pour rédiger une constitution qui devra réussir à convaincre
une majorité populaire pour être adoptée.
Québec solidaire aura ainsi une stratégie « blindée »,
acceptable à la fois par les souverainistes et les fédéralistes, même si elle
favorise dans les faits la perspective indépendantiste, non par la ruse ou une
stratégie cachée, mais parce qu’elle pourra montrer le mérite intrinsèque du
projet de pays, d’une République libre et démocratique. Le parti pourra développer son hégémonie politique sur la question nationale, tout en ouvrant
une brèche historique, une rupture avec le régime constitutionnel canadien. Une
fois que le processus constituant sera mis en place, rien ne pourra arrêter les
délibérations relativement « sereines » de l’assemblée citoyenne, les
débats virulents dans la société civile, le déchaînement des forces révolutionnaires
et réactionnaires dans l’espace public. Québec solidaire aura alors réussi à
canaliser la lutte pour l’émancipation nationale par une main de fer dans un
gant de velours.
Quelques paragraphes pour élaborer sur cette idée prometteuse avant de partir en vacances. Merci Jonathan pour tes contributions éclairantes et stimulantes!
RépondreSupprimerhttp://leblogueursolidaire.blogspot.ca/2014/06/le-double-mandat-de-lassemblee.html
Votre réponse à l’objection numéro 2 est convaincante. Effectivement, vu sous cet angle, il sera stratégiquement encore plus efficace d’inclure les provincialistes (fameuse expression d’ailleurs) dans le processus plutôt que de les exclure. Voilà effectivement l’intérêt de cette double constitution : forcer la réaction à se battre sur un terrain qui n’est pas le sien, c'est-à-dire celui de la souveraineté populaire, la divisée entre ceux et celles qui voudront participer au processus constituant et celles et ceux qui le refuseront, et gagner une légitimité accrue aux yeux de la population. Reste que pour que cette stratégie réussisse –et ce sera particulièrement important lors de la prochain étape qui doit consister pour QS à tirer le tapis sous les pieds du PQ avant qu’ils ne se ressaisissent- la posture indépendantistes des solidaires devra être à toute épreuve. L’idée de la constitution indépendantiste unique avait le mérite de la clarté quant aux intentions de ceux et celles qui la propose ce qui est moins le cas ici; on pourra facilement accuser QS de se ménager une voie de sortie. Pour cela plusieurs coups de barres devront être donnés à très court et moyen terme : rupture claire et nette avec le NPD, fin des interventions du genre « l’indépendance si nécessaire… », etc. : les solidaires devront montrer qu’à travers ce processus, ils et elles ne cherchent pas seulement à avoir raison mais aussi à vaincre.
RépondreSupprimerPar ailleurs, s’il est vrai que la prise du pouvoir par la gauche indépendantiste ne se fera qu’avec 30 à 40% des voix (ce qui ressemble dangereusement à la situation de l’Unité Populaire au Chili) il serait bon de souligner qu’en ce sens le rôle de la constituante sera bien différent de celui qu’elle jouait dans les pays d’Amérique latine où les résultats finaux des référendums constituants laissent supposer que de fortes majorités appuyaient déjà le projet au départ. Au Québec, nous en seront à une étape plus tôt dans la bataille : la constituante ne sera pas tant l’arme d’une majorité déjà en position d’être victorieuse que le nouvel espace de la lutte de classe. En ce sens la situation sera (toutes proportions gardées évidemment) plutôt semblable à celle que traverse la constituante tunisienne.
Je suis parfaitement d'accord avec ce commentaire. La précision du mandat de l'Assemblée constituante n'est qu'une petite pièce du casse-tête, car il faudra d'ici là développer et renforcer le discours indépendantiste de QS, faire de l'éducation politique et couper les ponts avec le NPD. Je crois d'ailleurs que la situation de l'assemblée constituante québécoise sera davantage semblable au Chili ou à la Tunisie, car le rapport de forces sera en train de se constituer et ne peut être garanti à l'avance.
SupprimerJonathan,
RépondreSupprimerÀ force de raisonnements et de démonstrations complexes, il me semble que tu t’éloignes de la simplicité militante.
Tu sembles craindre que dans le système actuel, QS puisse prendre le pouvoir sans une majorité de voix. Alors selon toi, cet appui serait suffisant à la mise en oeuvre immédiate d’un programme social provincial, avec l’appareil administratif comme levier. Mais lorsqu’il s’agit d’indépendance, c’est la même rengaine qui revient. Il faut plus! Comme si la pluralité donnait le droit de jouer sur la propriété en la taxant, mais pas de mettre en oeuvre un programme clairement indépendantiste. Y a-t-il vraiment un de ces programmes qui soit à ce point plus fondamental qu’il demande une telle distinction des moyens? Tu auras beau dire ce que tu veux, tu perpétues cette image selon laquelle QS veut avant tout des HLM et des institutrices, et que pour le reste, on fera la quadrature du cercle.
Et donc tu commences avec une considération d’ordre « démocratique » et morale (la Souveraineté populaire), pour rapidement déboucher sur la réflexion stratégique. Puisque le projet provincialiste est foncièrement pauvre de contenu, sa mise en opposition avec l’indépendance débouchera sur une victoire de celle-ci. Rien n’est moins sur. On ne sait jamais quel lapin les provincialistes sortiront de leur chapeau. Le fédéral pourrait très bien promettre une énième réforme constitutionnelle du Canada, avec l’intention de nous trahir dès le moment venu. Mais ces considérations stratégiques sont purement hypothétiques, et je m’en éloigne pour l’instant, en t’invitant à faire de même.
Tu caractérises cette Constituante par la Souveraineté populaire, cependant, tu sais d’avance que peu importe son résultat, le rapport de force qui y sera exprimé ne sera qu’accessoire.
À ce moment, l’idée de la Constituante est-elle encore démocratique? Le seul résultat concret du vote, ce sera de savoir combien de députés plancheront sur la constitution libre et combien plancheront sur la constitution provincialiste. Et d’ailleurs, pourquoi est-ce que la Constituante ne proposerait pas huit, quarante-deux, cent cinquante constitutions? La conflagration n’est que remise à plus tard. Alors dis-moi, combien d’élections et de référendums ça prend pour être enfin légitime?
Et puis tu t’adonnes à un tas de considérations rhétoriques sur la meilleure marche à suivre, en perdant de vue le fait suivant. La meilleure stratégie, c’est d’être le plus simplement et le plus clairement indépendantiste. Ton idée d’hydre à deux têtes n’a rien de simple, rien de clair, rien d’intuitif. Tu oublies aussi que peu importe ce qu’on fait, les indépendantistes se trouveront sous le feu nourri des provincialistes. Je ne crois pas qu’il existe de remède miracle à ce problème. Cependant, la clarté et la simplicité, c’est un bon départ.
Alors pourquoi ne pas passer à l’essentiel et déclarer que la Constituante, c’est l’Assemblée nationale, et que la députation QS sera de facto indépendantiste?
Évidemment, comme le remarque Anton Walbrook, peut-être désires-tu simplement éviter l’implosion de QS avec une patente à gosse de funambule?
En terminant, je te propose de prendre connaissance de ma propre proposition sur la stratégie à suivre:
http://www.vigile.net/Oser-le-geste-de-rupture
Cordialement,
Philippe Cloutier
En fait, les raisonnements complexes servent à dégager les implications multiples de cette stratégie, qui est en soi assez simple à comprendre et expliquer : L'assemblée constituante représente un processus référendaire nouveau genre, dans lequel l'option du Oui et du Non sera élaboré démocratiquement par les citoyens, et non par le gouvernement du Québec ou du Canada. À moins d'une déclaration unilatérale d'indépendance par la prise du pouvoir, ce qui manquerait largement de légitimité au sein de la population québécoise, de l'État canadien et de la communauté internationale, nous n'avons pas le choix de passer par un processus où le peuple se prononcera clairement, en masse, pour l'indépendance. La différence est que le projet de pays élaboré par la base sera plus mobilisateur et émancipateur qu'un Oui indéterminé, laissé dans les mains de l'élite politique et économique.
SupprimerIl est vrai que les provincialistes peuvent toujours sortir un nouveau lapin de leur chapeau, mais il en va ainsi dans n'importe quel processus d'accession à la souveraineté où ils feront tout pour combattre le projet d'indépendance. Avec la proposition de l'assemblée constituante qui rédigera deux constitutions, celle-ci pourra limiter, d'après moi, les coups bas du camp fédéraliste, même s'il ne se gênera pas pour en faire.
Ensuite, une assemblée constituante, laissée à elle-même, sera de toute façon obligée de tenir un vote distinct sur le statut politique du Québec, car c'est ce qui permet de distinguer la forme de la constitution (limitée ou non par le carcan canadien). Il ne pourrait y avoir 38 constitutions, car ce sera vachement inutile et inefficace, car le but est d'arriver le plus possible à un consensus. Comme l'indépendance ne fait pas consensus, l'assemblée constituante (élue ou tirée au sort) ne peut tranchée à l'avance le résultat, et doit laisser le peuple exprimer sa volonté générale lors du référendum.
Il ne faut donc pas deux ou trois élections ou référendum, mais seulement la mise en place d'une assemblée constituante initiée par un ou des partis au pouvoir à l'Assemblée nationale, qui débouchera sur un grand référendum. Pour répondre simplement à ta question, il faut une élection, puis un référendum qui permettra de conclure le processus en un ou deux ans. C'est pas compliqué.
Enfin, la meilleure stratégie n'est pas simplement d'être purement indépendantiste, car ce discours ne fonctionne pas avec tout le monde. Il faut chercher la simplicité, mais éviter de tomber dans le simplisme, ce que font beaucoup trop d'indépendantistes convaincus d'avoir la vérité et devant simplement diffuser la Bonne nouvelle. Il faut des considérations morales et démocratiques, mais également une réelle réflexion stratégie pour convaincre ceux et celles qui ne sont pas convaincus a priori, et que quelques arguments autour du LIT ne réussiront pas à faire changer d'idée. Il faut une variété d'arguments et de perspectives pour forger une majorité populaire.
Par ailleurs, la Constituante n'est justement PAS l'Assemblée nationale, car sinon on aurait une stratégie top-down, basée sur la souveraineté nationale, la classe politique qui décide à la place du peuple. Tout l'esprit de la démarche suppose la souveraineté du peuple québécois avant tout, qui doit décider pour lui-même, en toute autonomie du gouvernement en place, de décider de son avenir politique. C'est la société civile qui doit être au pouvoir, et non le traditionnel parti éclairé qui doit faire l'indépendance simplement à partir d'une élection nationale avec un mode de scrutin biaisé. À ce titre, voici ma critique de la stratégie de rupture que j'avais formulé dans un texte du 26 novembre 2012 concernant le rapport entre QS et ON : http://ekopolitica.blogspot.ca/2012/11/alliance-socialiste-et-independantiste_26.html
Supprimer"Par ailleurs, comme ON veut écrire une Constitution seulement après que le processus souverainiste ait été amorcé par l’État, il voit celle-ci comme le résultat ou l’officialisation d’un processus essentiellement technique et administratif. Les institutions seraient principalement transformées par les élites (politiciens, experts constitutionnels, appuyés par une consultation publique imprécise), le peuple servant uniquement à élire et entériner un processus fait essentiellement par le haut (approche top-down). Aucune mention n’est faite sur les autochtones et leur droit à l’auto-détermination (que le peuple québécois réclame par ailleurs), comme si l’unité nationale était un fait évident, ne nécessitant aucune réflexion ni construction. Le parlementarisme est donc considéré comme la seule voie du salut national.
Malheureusement, l’efficacité de la stratégie représentative est incertaine, car elle repose essentiellement sur l’électorat, qui doit se prononcer majoritairement en sa faveur avant le début du processus (celui-ci n’étant pas assuré de fonctionner). Il s’agit en quelque sorte d’un référendum renversé, où l’élection tient lieu de référendum exécutoire sur la souveraineté, au lieu de procéder en deux étapes (la prise de pouvoir d’abord, puis un référendum par la suite). Ce raccourci est intéressant, mais il est contraint par la légitimité de cette procédure. Par exemple, si ON obtenait 66 sièges à l’Assemblée nationale, avec un taux moyennement élevé d’abstention, il pourrait former un gouvernement majoritaire avec seulement 24% des électeurs qui auraient voté en sa faveur (ce scénario ressemble à celui du dernier gouvernement libéral). Logiquement, ON devrait immédiatement amorcer le processus souverainiste, même si seulement un quart de la population avait voté pour ce projet!
C’est bien la conclusion étrange à laquelle est confrontée Option nationale. Comme l’efficacité démocratique dépend avant tout de la légitimité, le gouvernement canadien aurait de bonnes raisons de refuser de redonner des pouvoirs à l’Assemblée nationale, le projet souverainiste ayant obtenu un faible pourcentage de participation. Le fédéral pourrait simplement dire que le mandat n’est pas suffisamment clair ou légitime, de sorte qu’ON serait obligé de faire un référendum sur la question ; il opterait alors pour la stratégie péquiste. De plus, rien ne prouve que les conjonctures économico-politiques seraient favorables à l’appropriation totale des compétences au niveau national, de sorte qu’ON devrait inévitablement négocier, un à un, les différents pouvoirs et composantes du LIT. Finalement, sa stratégie est fondamentalement semblable à celle du PQ, mais en plus précipitée. Comme elle dépend largement du système représentatif, ON serait poussé à faire des compromis, négocier des ententes entre la gauche et la droite, et se soumettre aux caprices des électeurs pour tenter de prendre le pouvoir à tout prix. Ainsi sonne l’échec de la simplicité apparente de la stratégie représentative."
Je précise que j'ai écrit ma réponse en assumant une Constituante élue et non pas tirée au sort, comme tu suggères qu'il pourrait se faire.
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