La social-démocratie est morte, vive la démocratie!
Analyse de la situation – rapports de
force
La question du pouvoir, et plus
largement celle du rapport stratégique à l’État, représente une réflexion
essentielle et incontournable de tout projet politique visant une
transformation sociale. Il ne s’agit pas ici d’une simple question tactique,
c’est-à-dire d’une analyse des moyens à utiliser pour réaliser le plus
efficacement un objectif particulier (une campagne électorale par exemple), car
toute action politique réellement émancipatrice doit viser le renversement du
régime ou du système (structure sociale, économique et politique de
domination). Cela nécessite donc une stratégie,
comprise au double sens de l’organisation des actions à prendre pour atteindre
un but général, ainsi que des tactiques et des combats déterminés à mener dans
la conduite globale de la guerre et la défense du territoire. La gauche a une
idée encore trop vague de son projet de société car elle n’arrive pas à
l’inscrire dans un cadre stratégique, lequel doit reposer sur l’analyse
critique d’une situation sociohistorique déterminée. Dans son livre À la croisée des siècles, réflexions sur la
gauche québécoise, Charles Gagnon ouvre une piste de réflexion inédite qui
permet de tracer de nouvelles perspectives d’action.
« Une gauche conséquente ne peut
pas se passer d’un examen rigoureux des conditions générales actuelles, des
dynamismes qui les animent, des perspectives qui se dessinent. Il n’est pas
exclu, dans ce contexte, qu’il faille réviser la notion même de révolution. Il
ne suffirait donc pas d’en revoir le concept à la lumière, par exemple, des
résultats de la révolution bolchévique ou des guerres de libération nationale.
Il faudrait aller chercher plus loin et prendre véritablement en compte les
changements majeurs survenus au niveau de l’organisation du travail et des
développements scientifiques et technologiques, à ceux liés à la mécanisation
et l’informatisation de la production, à l’urbanisation croissante de la
planète, au bouleversement des communications. Sans compter les réalités
géopolitiques ainsi que la force encore bien réelle des idéologies religieuses
traditionnelles et de celle du libéralisme.
Je ne suis pas loin de penser que, dans
ces nouvelles conditions, un simple transfert du contrôle de l’économie dans
les mains de l’État, en lieu et place des banquiers, ne déboucherait pas
nécessairement sur le passage du pouvoir entre les mains du peuple. Bref, qu’il
ne déboucherait pas sur une plus grande démocratie ou, plus largement, sur
l’élargissement de la liberté des personnes. Non plus que sur une plus grande
harmonie sociale. Le pouvoir est une réalité beaucoup plus complexe, me
semble-t-il aujourd’hui, que le contenu que lui a attribué la tradition
marxiste, sinon Marx lui-même. Nous touchons là une question essentielle,
cruciale. Autant les socialistes que les communistes ont toujours prétendu que
la clé de voûte de l’instaurant du socialisme résidait dans la prise du pouvoir
d’État, par la voie démocratique pour les socialistes, par l’insurrection, si
nécessaire, pour les léninistes. Cette prétention n’a pas résisté à l’épreuve
des faits. Depuis le début du siècle, maints pays ont vécu sous des régimes
communistes ou socio-démocratiques et nulle part cette situation n’a
véritablement ouvert la voie à une plus grande démocratie, c’est-à-dire à une
appropriation à tout le moins progressive d’un plus grand pouvoir par les
couches populaires. » [1]
Critique du modèle québécois
Le Québec ne fait pas exception à la
règle. Avant de revenir plus précisément sur la question stratégique, regardons
d’abord en quoi la conquête de l’État par une minorité éclairée ne mène pas
nécessairement à l’émancipation populaire. Il y a certes eu la Révolution
tranquille qui permit une plus grande justice sociale, notamment par la
construction d’institutions publiques et de programmes sociaux permettant une
plus grande redistribution de la richesse et l’augmentation significative du
bien-être matériel de la majorité, mais celle-ci ne redonna pas pour autant le
pouvoir aux gens ; malgré le noble objectif de ce grand projet collectif,
nous ne sommes toujours pas « maîtres chez nous ». Il en va ainsi
parce que ce processus historique fut essentiellement une démarche étatiste initiée
par une poignée d’experts, de politiciens, de hauts fonctionnaires et d’hommes
d’affaires, phénomène que le sociologue Jean-Jacques Simard a décrit comme La longue marche des technocrates. Une relecture critique de la
Révolution tranquille et de la modernisation de la société québécoise montre
ainsi que le revers de l’État-providence correspond à la consolidation d’un
capitalisme organisé (Habermas), une société programmée (Touraine) ou une
technobureaucratie de consommation dirigée (Lefebvre).
« Partout en Occident, la grande
crise a exacerbé les critiques adressées au capitalisme sauvage : il faut
domestiquer le capital, réduire les misères les plus criantes, éviter les
mortelles incartades où les millionnaires découragés sont seuls à avoir le
choix du suicide. Aussi bien dans le fascisme que dans le New Deal de
Roosevelt, transparaît la volonté d’une ingénierie socio-économique confiée à
l’État. Par ce biais, la Raison Technique de Keynes prend le pas sur la Main
Invisible d’Adam Smith. […] La production massive appelle la consommation
massive et celle-ci exige l’uniformisation des besoins. En retour, cette
uniformisation s’appuie sur un standard minimal, un « panier de
base » de la consommation que les politiques gouvernementales assurent à
tous par une certaine redistribution des revenus. […] Sous un régime de
production massive les déterminants de la croissance de la productivité
dépassent les cadres restreints de l’entreprise : recherche scientifique,
programmation du changement, formation professionnelle et éducation, diffusion
des attitudes favorables à la croissance sont de plus en plus étroitement
liés à ce qu’on pouvait appeler autrefois les forces de production.
Ainsi s’impose la nécessité d’une
intégration de toutes sortes de travaux et de fonction sociales abandonnées
hier à l’Église ou aux collectivités locales. La productivité d’ensemble du
système social en tant qu’appareil économique prend alors le pas sur les
valeurs d’accumulation et d’enrichissement privé qui dominaient la première
phase du capitalisme. Deux conclusions s’imposent : 1. l’organisation, la
rationalisation de tous les domaines du travail qu’une société exerce sur
elle-même et son monde devient nécessaire ; donc, 2. l’État et
l’Entreprise doivent œuvrer dans le même sens, se compléter mutuellement. Pour
transformer la Société en appareil technique, l’Entreprise (ou cela paye),
l’État (où cela ne paye pas à court terme), concourent à une bureaucratisation
généralisée de la vie en commun. Et comme l’implacable unité d’intention du
productivisme évacue à l’avance les débats sur les grands objectifs que
devraient poursuivre la communauté nationale, il ne reste qu’à discuter des
moyens et des fins secondaires. Là-dessus, ceux qui œuvrent au sommet des
appareils de production/information détiennent le langage technique, donc un
avantage qui déprécie le non-initié.
Nichant dans les systèmes et vivant des
systèmes, les experts et les managers ont tout à gagner – c’est même leur seule
fonction effective – d’une extension des organisations centralisées qui
convertissent en travail capitalisable toute participation aux affaires de la
Cité. Par là, par son contexte institutionnel, se diffuse une certaine
conception de la rationalité immanente à la vie sociale. « Cette
rationalité prend la forme de la planification, qui suppose ou constitue un
système. Elle est prise en charge par les spécialistes qui constituent une
couche sociale aspirant au statut de classe sociale et même de classe dominante
sans pour autant y parvenir : la technobureaucratie. » [2]
Triomphe idéologique de l’austérité
De cette analyse du visage sombre du
« modèle québécois » il ne faut pas déduire qu’il faille démanteler
l’État social et revenir aux vertus du libre marché, démoniser la méchante
bureaucratie publique au profit de l’efficacité des entreprises privées. Ce
serait bien un retour en arrière, ou plutôt le remplacement de vieux
technocrates par une classe de nouveaux gestionnaires, de super managers qui
visent à rationaliser l’appareil d’État pour faciliter les investissements
privés. Ainsi, l’austérité vise à réaligner le système socioéconomique pour le
bénéfice d’une minorité possédante et ce au détriment de la majorité sociale.
En ce sens, le virage néolibéral entreprit par nos élites politiques depuis les
années 1980 et mit en place par vagues successives (Lévesque en 1982, Bouchard
en 1996, Charest en 2003, Couillard en 2014) représente bien une régression du
point de vue de la redistribution de
la richesse, c’est-à-dire des bénéfices matériels et collectifs de la croissance
économique.
Mais du point de vue du mode de production, la social-démocratie
comme le néolibéralisme reposent sur un capitalisme productiviste et
technobureaucratique qui exclut à différents degrés le pouvoir citoyen de la
sphère politique et économique. Le duo Église-État de l’ère Duplessis laisse
place au couple État-Entreprise de la Révolution tranquille, le modèle de
concertation entre le gouvernement et ses « partenaires sociaux »,
c’est-à-dire les élites syndicales et patronales, excluant les citoyens,
classes moyennes et populaires des lieux de décision. Il n’est donc pas
étonnant que la crise de légitimité du modèle québécois s’accompagne d’un rejet
général des fonctionnaires, des syndicats et de la classe politique en général,
ceux-ci étant associés, à tort ou à raison, aux « intérêts établis »,
à ceux qui profitent d’un système qui ne tient pas ses promesses. C’est le coup
de force idéologique de la droite que d’avoir réussi à construire une identité
populaire, c’est-à-dire un « nous » associé à la responsabilisation
de l’homme privé, du travailleur-contribuable qui s’oppose à l’État et la
société en général, par une critique en règle du « modèle de
société » enraciné dans l’imaginaire québécois.
La victoire du populisme conservateur
repose sur une lutte idéologique acharnée, menée depuis vingt ans par nos
élites économiques, politiques et médiatiques, qui ont préparé le terrain aux
mesures d’austérité. Celles-ci paraîtront légitimes par une bonne partie de la
population tant que ses conséquences ne se feront pas sentir dans toute leur
intensité. Or, les effets néfastes de l’austérité commencent déjà à affecter
brusquement des couches croissantes de la société : étudiants, immigrants,
femmes, jeunes familles, employés du secteur public, cadres intermédiaires du
système de santé, petits entrepreneurs, personnes âgées, etc. Comme la
compression des dépenses publiques amène une stagnation économique,
l’augmentation du chômage, de l’endettement et des inégalités, un sentiment de
précarité s’installe et expose la société à une éventuelle crise économique.
Or, bien que l’explosion d’une bulle immobilière ou un crash du système
financier représentent des scénarios très probables à court et moyen terme, on
ne pourrait espérer la victoire soudaine d’un parti anti-austérité du jour au
lendemain. Il se pourrait même que la population demande davantage d’austérité,
vote pour un parti conservateur, tombe dans le mirage d’un grand sauveur qui
pourra redresser l’économie, etc.
Éléments d’un populisme participatif
Pour mener à une éventuelle victoire
électorale, la gauche doit d’abord mener une « guerre de position »
en forgeant un discours contre-hégémonique. La stratégie populiste est sans
doute une voie à explorer dans le contexte québécois, notamment parce que les
identités politiques relatives à la question sociale (gauche/droite) et la
question nationale (souverainistes/fédéralistes) ne représentent plus des
référents symboliques largement partagés. Il faut remarquer ici que le
populisme ne se définit pas d’abord par son contenu idéologique (conservateur,
socialiste, fasciste, nationaliste, etc.) ou sa base sociale (paysans, petits
entrepreneurs, couches populaires, etc.), car il s’agit avant tout d’une logique politique basée sur la
construction d’identités collectives. Il s’agit de créer un « nous »
populaire par opposition à un « eux » représentant une élite. Cela
permet de tracer un antagonisme social dont les termes sont relativement peu
définis, Ernesto Laclau parlant à ce titre de
« signifiants vides » pour décrire les points de condensation
symbolique où les identités viennent se greffer.
Cette stratégie est cruciale pour la
gauche, car celle-ci opère depuis plusieurs années dans une logique de la différence, en essayant
d’agglutiner des demandes démocratiques particulières par une addition
d’identités minoritaires (femmes, lesbiennes, autochtones, assistés
sociaux, opprimés, groupes subalternes) dans une perspective de reconnaissance
des droits et/ou de prise en charge par l’État. Il est certes absolument
nécessaire de prendre sérieusement en compte l’intersectionnalité des formes de
discrimination et de domination dans les rapports sociaux, mais cela ne permet
pas pour autant de former une identité
populaire, c’est-à-dire un discours rassembleur auquel n’importe qui peut
s’identifier spontanément. À l’inverse, la logique populiste consiste à créer
des chaînes de significations entre différentes demandes hétérogènes qui ne
peuvent plus être intégrées par le système, formant ainsi un bloc symbolique contre
l’ordre établi. La droite a réussi à instrumentaliser la logique populiste en
favorisant une identité populaire dépolitisée,
rivée sur la sphère privée et les valeurs individuelles, permettant ainsi aux
élites économiques de détourner les institutions publiques à leur avantage avec
le consentement des masses atomisées. Pour contrer ce discours hégémonique, la
gauche doit donc s’adresser aux « gens ordinaires », non pas pour
demander leur appui à un parti qui pourra bien les représenter, mais pour
briser la logique de la représentation et engendrer un processus de
subjectivation émancipateur.
Pour ce faire, il faut dépasser le
clivage idéologique entre la social-démocratie (la gauche) et le néolibéralisme
(la droite) en montrant que ces deux blocs font partie d’un même système
technocratique et centralisateur, et opposer cette « classe
politique » à « ceux d’en bas », c’est-à-dire aux gens,
citoyens, travailleurs, femmes, habitants des régions, petits entrepreneurs,
automobilistes, bref monsieur et madame tout le monde. Pour que les individus
se soucient de la vie politique, il faut redonner le goût aux gens de participer directement aux affaires publiques, ce qui n’est pas évident à
notre époque caractérisée par le cynisme et la perte de confiance envers la
démocratie. Cela veut-il dire qu’il faille renoncer aux rêves de démocratie
participative et miser plutôt sur la prise en charge classique des intérêts
sociaux par une élite politique ? Bien au contraire, la crise du
gouvernement représentatif ouvre la porte à une nouvelle conception de la démocratie, basée sur la participation
citoyenne directe où tout le monde, sans exception, peut prendre part aux
décisions qui affectent leur vie.
Autrement dit, il s’agit de miser sur
le sentiment de dépossession des institutions publiques qui sont devenues
« oppressantes » dans l’expérience vécue des gens, et du dégoût
généralisée envers la corruption de la classe politique pour ouvrir la voie à
une appropriation collective des affaires communes. Comme disait Michel Chartrand
en bon populiste : « si tu ne t’occupes pas de la politique, c’est la
politique qui va s’occuper de toi ». Cette phrase hautement significative
témoigne d’un discours performatif (et non simplement descriptif) qui invite
les gens à participer, à prendre part au partage du monde commun, témoignant
ainsi d’un processus de subjectivation et de repolitisation. La logique populiste consiste à dire :
« le politique, c’est nous », « ce n’est pas à eux, mais à nous
de décider ». Il y a un « nous » qui se dégage comme le
signe d’une capacité d’action, d’un pouvoir d’agir, d’une auto-détermination ou
d’un processus d’empowerment, qui
crée par le fait même une identité collective fondée sur la participation de
n’importe qui ; il s’agit de tracer les bases symboliques d’une action
directe de la majorité opposée à la domination d’une minorité corrompue. Il
faut ici relire Jacques Rancière qui distingue soigneusement le champ
proprement politique de la sphère étatique représentée par l’appareil de
pouvoir centralisé du parlement, la bureaucratie, la police et l’armée.
« Parler du politique et non de la
politique, c’est indiquer qu’on parle des principes de la loi, du pouvoir et de
la communauté et non de la cuisine gouvernementale. Le politique est la
rencontre de deux processus hétérogènes. Le premier est celui du gouvernement.
Il consiste à organiser le rassemblement des hommes en communauté et leur
consentement et repose sur la distribution hiérarchique des places et des fonctions.
Je donnerai à ce processus le nom de police. Le second est celui de l’égalité.
Il consiste dans le jeu des pratiques guidées par la présupposition de l’égalité
de n’importe qui avec n’importe qui et par le souci de le vérifier. Le nom le
plus propre à désigner ce jeu est celui de l’émancipation. » [3]
Ce populisme démocratique ou
participatif vise à accroître le fossé entre la représentation et le peuple, le
pouvoir établi et les gens, la classe politique et la démocratie réelle qui est
l’affaire de n’importe qui. Il faut opposer d’une part le monopole de
l’élection, qui constitue un principe oligarchique (Manin, Rosanvallon), et
d’autre part la participation des gens, le tirage au sort, le droit
d’initiative citoyenne, les référendums et assemblées populaires qui
constituent l’essentiel de la démocratie. La construction d’un ethos citoyen passe par une revalorisation des
vertus civiques, la vigilance, la contestation, la participation, la critique
de la corruption, le souci du bien commun, etc., par un ensemble de croyances,
dispositions et pratiques qui pourront alimenter la formation d’une identité
collective contre l’ordre établi.
La Révolution tranquille renversée
À première vue, ce populisme
participatif peut sembler n’être qu’une forme de rhétorique vide pouvant être
associée à n’importe quel projet politique. Il n’en est rien. Cette logique de
réappropriation collective de la vie commune permet de sortir du débat stérile
gauche/droite, État/marché en proposant une troisième voie qui dépasse la
dichotomie entre social-démocratie et néolibéralisme. L’alternative à la
planification n’est pas la privatisation, ou vice et versa, car les deux
options sont sources de dépossession et d’aliénation ; l’alternative,
c’est l’autogestion, la décentralisation, la participation. La Révolution
tranquille représente un processus de laïcisation incomplet ou manqué, car elle
consista à transférer le pouvoir d’une élite cléricale à une élite
technocratique, laquelle a fini par donner le pouvoir à l’élite financière.
Cette critique des 3E (Église, État, Entreprise), doit montrer que la laïcité réelle consiste à séparer l’État
de la religion économique et ses acolytes : élites financières, classe
politique et industries pétrolières. Cela suppose la critique virulente du
système parlementaire où les riches, politiciens et puissants se donnent des
augmentations de salaires et primes de départ en se foutant éperdument des
conditions de vie des gens.
Cette perspective s’inscrit également
dans une logique de souveraineté populaire, laquelle n’a jamais été à l’œuvre
dans la modernisation de l’État québécois qui fut dirigée par la « longue
marche des technocrates ». Toute la Révolution tranquille s’est fait à
l’aune de la social-démocratie et de la souveraineté nationale, c’est-à-dire la
souveraineté parlementaire et administrative, dont l’objectif ultime était la
souveraineté de l’État du québécois dont tous les pouvoirs seraient concentrés
dans les mains d’une poignée d’experts, de fonctionnaires, de politiciens et
d’hommes d’affaires. Comme le montre Sébastien Ricard dans sa percutante
critique du mouvement souverainiste (La souveraineté renversée), la voie de sortie pour le Québec réside dans le
renversement dialectique de la Révolution tranquille. L’émancipation du peuple
doit être l’œuvre du peuple lui-même. Loin de rejeter pour autant la justice
sociale et le projet d’indépendance, cette logique populiste vise à recadrer
ces deux objectifs dans un discours qui ne se limitera plus aux milieux restreints
de la gauche et des souverainistes.
Autrement dit, il faut faire reposer le
double projet de transformation sociale et de libération nationale sur le
principe « d’auto-détermination communautaire », synonyme de
participation, démocratisation, décentralisation, régionalisation. Cette piste
reprend à nouveaux frais l’idée que Jean-Jacques Simard opposait à la
centralisation technocratique de la Révolution tranquille : « Nous
défendrons par ailleurs l’idée que l’objectif d’une société basée sur
l’auto-détermination communautaire, (hors des milieux urbains), ou sur
l’autogestion (là où la communauté peut s’arc-bouter sur une usine ou un
quartier), constitue un contre-projet à surveiller car il s’adresse très
immédiatement aux formes nouvelles de domination sociale. »[4] Quel est le
véhicule susceptible de porter un tel projet politique ? Telle est la
question que nous aborderons dès le prochain texte.
À
suivre.
[1] Charles
Gagnon, À la croisée
des siècles, réflexions sur la gauche québécoise, Écosociété, Montréal,
2015, p.217
[2]
Jean-Jacques Simard, La longue marche des
technocrates, Éditions coopératives Albert-Saint Martin, p.23-24
[3] Jacques
Rancière, Aux bords du politique, Gallimard, Paris, 1998, quatrième de
couverture
[4] La longue marche des technocrates, p.13
extrêmement intéressant...ça va alimenter ma réflexion et, qui sait, on aura peut-être l'occasion d'en discuter ensemble un de ces jours.
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