Méditations sur le renouveau, le réfugié et l’Exode
Telle est la première tâche de l’action révolutionnaire : élargir le champ de l’expérience, et ouvrir l’horizon d’attente ; débloquer le présent en faisant surgir un écart entre un passé oublié et un à-venir à construire. Creuser un espace au milieu de l’existence, un souci, une urgence aimantée par le désir de rupture avec l’existant, qui est en même temps prolongement dans la durée. Non pas abolir ou destituer, mais bifurquer et instituer. Instituere : établir, mettre en place, fixer, fonder, constituer. Ouvrir le temps des commencements, des lieux à défricher, des terres à baptiser. Aucune transformation n’est possible sans ce goût du renouveau. À notre époque, le nouveau récit ne peut plus se fonder sur les promesses du progrès, ni sur la certitude d’un grand renversement, ni sur l’inquiétude d’un effondrement imminent. Où fonder l’espoir d’une régénérescence, qui rompt à la fois avec le décadentisme ambiant et les fantasmes fascistoïdes d’une puissance retrouvée? Dans l’expérience sensible et pratique d’une transition en marche, qui invente un territoire par les formes de vie qui l’habitent et le parcours qui le dessine.
Digression sur le réfugié. Le réfugié, économique, politique ou climatique, est devenu la figure centrale de notre temps ; expression d’une vie humaine nue, expulsée de son chez-soi, elle nous révèle la fragilité de l’existence et la tragédie d’un exil forcé par le cours des événements. Le réfugié incarne en quelque sorte l’existence brute et séparée de son milieu ; témoignage de l’aliénation radicale, du déracinement, de la privation de monde. Outre sa condition exceptionnelle, qui suscite un mélange de compassion et de sollicitude, ou encore d’indifférence et d’impuissance, signe de l’étranger et de l’ailleurs, il nous inquiète d’autant plus qu’il montre le revers possible de notre propre situation. Nous aussi nous sommes des réfugiés en puissance, car ce monde-ci ne durera point. Nous aussi nous sommes condamnés à l’exil, dans un futur plus ou moins rapproché. Non pas vers d’autres pays où il faudra reconstruire nos vies, mais ici, dans notre propre société en déroute. Telle est nôtre tâche qui nous incombe : trouver-refuge et faire-monde. Or, comment éviter les deux figures rebutantes du « campement permanent » et des « communautés clôturées », qui sont l’antithèse de mondes « habités »? Non pas se replier sur soi, se retrouver entre-soi, mais construire des havres de résonance, des oasis de sens, et les élargir pour élever les ponts et les arches qui nous mèneront à l’autre bout d'une terre à venir.
Pour le meilleur et pour le pire, la figure historique qui s’impose à nous, qui est en même temps l’image de notre condition actuelle, est celle des pérégrinations et de l’Exode. Paradoxe : l’acte d’instituer suppose de se fixer, tandis que l’Exode évoque la sortie, la fuite, le nomadisme. Hypothèse : l’important n’est pas de rester immobile ou de se déplacer sans cesse, mais d’inventer de nouvelles manières d’habiter le monde. Joindre la rencontre au souci d’un espace à dénicher, de milieux à bâtir pour se tenir ensemble face aux tourmentes de l’existence. Ces lieux existent, ils sont en train de se construire. Retrouvons-nous, car l’hiver est parmi nous et le printemps reste à inventer. Le monde ne surgit pas par miracle, il ne nous est pas donné pour le prendre, le manipuler ou le transformer ; il nous faut d’abord le retrouver, le sentir et l’habiter. Voilà, comme le souligne Gorz, la nouvelle image de la révolution en cours :
« Il s’agit d’élargir au maximum les espaces et les moyens qui permettent la production de sociétés alternatives, de modes de vie, de coopération et d’activités soustraits aux dispositifs du capital et de l’État. D’élargir au maximum, en d’autres termes, les voies ouvertes à la « sortie du capitalisme », comprise au sens d’un exode biblique qui invente ses « terres promises » chemin faisant. »[1]
[1] André Gorz, Misères du présent. Richesse du possible, Paris, Gallimard, 1997.
Pour le meilleur et pour le pire, la figure historique qui s’impose à nous, qui est en même temps l’image de notre condition actuelle, est celle des pérégrinations et de l’Exode. Paradoxe : l’acte d’instituer suppose de se fixer, tandis que l’Exode évoque la sortie, la fuite, le nomadisme. Hypothèse : l’important n’est pas de rester immobile ou de se déplacer sans cesse, mais d’inventer de nouvelles manières d’habiter le monde. Joindre la rencontre au souci d’un espace à dénicher, de milieux à bâtir pour se tenir ensemble face aux tourmentes de l’existence. Ces lieux existent, ils sont en train de se construire. Retrouvons-nous, car l’hiver est parmi nous et le printemps reste à inventer. Le monde ne surgit pas par miracle, il ne nous est pas donné pour le prendre, le manipuler ou le transformer ; il nous faut d’abord le retrouver, le sentir et l’habiter. Voilà, comme le souligne Gorz, la nouvelle image de la révolution en cours :
« Il s’agit d’élargir au maximum les espaces et les moyens qui permettent la production de sociétés alternatives, de modes de vie, de coopération et d’activités soustraits aux dispositifs du capital et de l’État. D’élargir au maximum, en d’autres termes, les voies ouvertes à la « sortie du capitalisme », comprise au sens d’un exode biblique qui invente ses « terres promises » chemin faisant. »[1]
[1] André Gorz, Misères du présent. Richesse du possible, Paris, Gallimard, 1997.
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