Ne renonçons à rien, y compris l'utopie.

Premières impressions du livre « Ne renonçons à rien » du collectif FQSP : rien de radicalement nouveau sous le soleil, mais une grande synthèse, claire, cohérente et sensible, des craintes et des aspirations d'une bonne partie de la société québécoise à notre époque. Si le livre ne prétend pas fournir un programme électoral détaillé, il s'agit bel et bien d'un projet de société, voire une ébauche d'un projet politique érigé plusieurs piliers : réinvestissement massif en éducation, politique industrielle écologique, démocratisation de l'économie et des institutions politiques, nouveau modèle culturel et médiatique, réconciliation avec la diversité culturelle et les Premières Nations, amélioration de l'accès aux vacances, services de santé, de garde, etc. pour faciliter la vie des jeunes familles et des individus tout au long de leur existence. Quel nom pouvons-nous donner à ce projet de société? La social-démocratie du XXIe siècle.

Grosso modo, il s'agit d'une grande rénovation du « modèle québécois », une volonté de renouer avec le projet initial de la Révolution tranquille. Ce « rêve pragmatique », qui n'a rien d'une utopie, a l'avantage de reposer sur le « bon sens », c'est-à-dire sur les lieux communs de l'imaginaire collectif. Peut-être même un peu trop, car il s'agirait d'assumer simplement ce que nous sommes déjà, bref de renouer avec l'élan modernisateur et progressiste du néonationalisme qui avait marqué l'arrivée du gouvernement Jean Lesage en 1960. Dans l’introduction du livre, il est écrit : « Vous nous avez confié de grandes, mais surtout de petites choses. Et le miracle tient à la prodigieuse simplicité de ce qui vous tient à coeur : continuer d'être, ensemble, ici. Juste ça. Mais tout ça. »

Évidemment, il ne s'agit pas de reproduire le statu quo, car le modèle social est en panne depuis une bonne vingtaine d'années. Pour reprendre le projet réformiste de la Révolution tranquille, cela implique de se réveiller, de poser des gestes de rupture, de chasser la caste du pouvoir, bref, de croire à nouveau en nos capacités d'action, sur le plan politique notamment. Et cela, nous l'avons perdu depuis belle lurette. Or, est-ce que le métarécit progressiste et social-démocrate, qui consiste à « retrouver ce que nous sommes », pourra susciter l'engouement collectif pour réactiver un projet inachevé? Bonne question.

À mon sens, la tâche historique qui s'impose à l'humanité au XXIe siècle consiste à rompre avec un système insoutenable qui nous conduit à la catastrophe sociale, économique, écologique et démocratique. Or, je ne crois pas non plus que le peuple québécois puisse passer d'un état de léthargie politique ou de démotivation générale à une volonté révolutionnaire de rupture avec l'existant, du moins en une seule étape. Mais cela ne veut pas dire non plus qu'il faille repousser indéfiniment les objectifs les plus pressants. La seule solution consiste à amorcer le plus rapidement possible un processus collectif de repolitisation, qui pourra montrer, par la pratique, les gains matériels et les limites objectives des réformes radicales d'une social-démocrate verte, laquelle suppose une relance de la croissance économique qui devient toujours plus incertaine à notre époque. Bref, nous n'avons pas le choix d'amorcer au plus vite une « Grande Transition », à partir des conditions sociales, économiques et culturelles actuelles. Si nous ne sommes pas capables de croire à ce « programme minimal », nous sommes foutus.

P.S.: Lors de la Révolution tranquille, l'équipe du tonnerre a modernisé le Québec à vitesse grand V, mais le gouvernement s'est buté à une série de mouvements sociaux qui voulaient poursuivre ce processus d'émancipation hors du cadre existant : les mouvements ouvrier, féministe, socialiste et indépendantiste cherchaient à pousser la libération jusqu'au bout, bien au-delà du néonationalisme réformiste. Aujourd'hui, nous pouvons ajouter les questions centrales concernant les rapports sociaux en termes de classe, genre et race, de même que la question écologique et le rôle clé des peuples autochtones, qui font « sauter » en quelque sorte le cadre simpliste du grand récit national. La souveraineté des peuples, l'autodétermination des communautés locales, la démocratisation de l'économie et une série d'autres exigences feront leur apparition pour radicaliser la transformation sociale au-delà de l'étatisme modernisateur rassurant. Autrement dit, nous devons déjà nous imaginer dans un processus de reconstruction de la social-démocratie pour anticiper ses limites et pousser au-delà du système actuel.

Bref, malgré le « réalisme politique » nécessaire pour la « prise du pouvoir » à court et moyen terme, nous devons garder le sens de l'utopie, comme capacité d'imaginer un « nouvel ordre social » et à anticiper le « non-encore advenu », non pas pour se prélasser dans la belle image d’une société réconciliée, mais pour prolonger les utopies concrètes déjà existantes dans l’horizon de l’idéal révolutionnaire qui frappe à nos portes.

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