Le populisme conservateur comme (in)validation émotionnelle
En me réveillant ce matin, j'ai eu une intuition concernant le principal mécanisme psychoculturel utilisé par les nationalistes conservateurs et les populistes autoritaires pour assurer leur hégémonie: un double processus de validation/invalidation émotionnelle qui permet t'atténuer certaines inquiétudes et menaces de notre époque. Je m'explique en moins de 1000 mots.
Les populistes conservateurs (nous utiliserons cette expression pour décrire la grande famille des droites décomplexées non-libérales, qui incluent notamment les nationalistes identitaires, les conservateurs anti-multiculturalistes et diverses mouvances de l'extrême droite), doivent leur succès à la validation de certaines inquiétudes de la majorité culturelle. Plusieurs gens ressentent à juste titre une ou plusieurs insécurités (économique, culturelle, et/ou écologique) engendrées par la mondialisation néolibérale, mais celles-ci sont largement niées par le discours médiatique dominant. Qui plus est, ces craintes sont largement ignorées, invisibilisées ou même méprisées par les "élites" économiques, politiques et culturelles.
À ce cocktail d'insécurité et de déni de reconnaissance s'ajoutent diverses "menaces" potentielles nourries par les médias de masse, les chroniqueurs d'opinion et les chambres d'écho sur les médias sociaux: attaques terroristes, "péril musulman", immigration de masse, recul de l'identité nationale, etc. Ajoutons à cela les diverses revendications de nouveaux mouvements sociaux (antiracistes, féministes, LGBTQ+) qui remettent en question certains privilèges et formes de discrimination présentes dans la société. Ces diverses critiques de la "gauche diversitaire" (utilisons cette étiquette par commodité) provoquent une réaction affective typique de la "fragilité blanche", mais à large échelle: peur, colère, culpabilité, besoin d'être rassuré par l'autre, besoin d'apaiser nos craintes et de se faire dire que nous sommes des "bonnes personnes".
Ici, le populisme conservateur valide les émotions de colère, de peur, et de culpabilité des personnes qui se sentent attaquées dans leur "moi", mais en invalidant en bloc toute critique des privilèges et des discriminations. Ce discours dit aux gens: "on comprend que des social justice warriors (SJW) veulent vous faire sentir coupables", "vous avez raison d'être fâchés et en colère contre ces minorités/bien pensants qui remettent en question votre identité", "ceux là ont tort sur toute la ligne", "vous avez raison de vous aimer, d'être fiers de qui vous êtes". Ici, il ne s'agit pas seulement de la fragilité blanche (relative aux enjeux du racisme), mais d'une fragilité multidimensionnelle, collective, voire nationale.
Pour ne prendre que l'exemple de la nation québécoise, particulièrement consciente de sa fragilité historique (pensons au discours de la survivance qui a prédominé pendant une centaine d'années avant la Révolution tranquille), celle-ci se sent attaquée à tort ou à raison par divers facteurs, résumés dans la caricature commode du "mondialisme diversitaire", du "régime diversitaire", de "l'empire du politiquement correct". On peut certes critiquer la validité factuelle de cette description simplifiée, mais tâchons de bien comprendre la "validité émotionnelle" d'un tel dispositif; on valide que vous êtes inquiets, que vous vous sentez coupables de quelque chose de plus ou moins clair et diffus. On valide votre besoin d'être protégé, d'être rassuré. Vous vous sentez victimes de quelque chose, vous cherchez bien sûr à écarter ce sentiment désagréable, et vous avez une personne qui apporte une réponse simple à votre malaise.
Le malaise est bien réel, mais la validation du populisme conservateur le nie en le retournant contre ses destinataires: les antiracistes sont transformés en "néoracialistes" ou "racistes antiblancs", la "gauche" est transformée en apologie de "l'individualisme radical", les féministes sont dépeintes en "féminazies", les nationalistes pluralistes sont transformés en "méchants multiculturalistes", les frontières sont transformées en passoires pour "immigrants illégaux", les écologistes qui citent des études scientifiques sont transformés en "fanatiques religieux", etc. En fait, la validation de la fragilité de la majorité culturelle s'accompagne d'une invalidation tout aussi intense de toute inquiétude adjacente, "minoritaire" ou opposée. Et, le plus souvent, on va même invalider d'autres angoisses encore plus terribles, comme celle de la crise écologique et de l'effondrement potentiel de la civilisation thermo-industrielle. Les réactions viscérales à l'endroit de Greta Thunberg, ne sont qu'un symptôme, au sens fort et freudien du terme, de ce "malaise dans la civilisation".
Résumons un peu notre propos: nous vivons à une époque de malaises (au pluriel), d'inquiétudes diffuses, d'angoisses plus ou moins avouées face à différents enjeux. Reconnaissons ce malaise, lequel n'est pas le propre des "minorités" ou de la "majorité". En réalité, nous sommes presque toujours plus ou moins privilégiés ou défavorisés sous certains aspects, car notre identité n'est pas une mais complexe, et nous vivons diverses inquiétudes relatives à notre situation dans le monde. Disons-le d'emblée, personne ou aucun groupe n'a le monopole de l'angoisse, car nous vivons à une époque crissement stressante, effrayante et angoissante.
Dans ce contexte anxiogène, certains discours valident certaines inquiétudes, et en invalident d'autres. Le populisme conservateur, de son côté, a la qualité de valider en bloc les inquiétudes des personnes qui s'identifient à la "majorité culturelle" (peu importe leur revenu, leur sexe et même leur origine ethnique), et d'invalider en bloc toutes les critiques, émotions et préoccupations des "autres" (au pluriel), c'est-à-dire de tous ceux et celles qui sont susceptibles d'ajouter de nouvelles inquiétudes à notre angoisse actuelle.
Ceux-là, les "diversitaires", ne sont jamais définis positivement ou de manière précise, car il s'agit avant tout d'une façon générale de désigner l'ensemble des personnes qui me remettent en question, qui viennent me culpabiliser, me traiter de raciste, d'homme blanc, de conservateur, d'extrémiste, etc. Au fond, comme dirait Sartre, "l'enfer, c'est les autres"; mais les "autres", dans le cas qui nous intéresse, regroupent les minorités, les SJW, les multiculturalistes, les islamistes, bref toute la gang de la "gauche diversitaire". La puissance émotionnelle du populisme conservateur réside dans sa capacité à valider cette angoisse, et à invalider, et même à refouler, les causes réelles ou imaginaires, de cette souffrance.
Les populistes conservateurs (nous utiliserons cette expression pour décrire la grande famille des droites décomplexées non-libérales, qui incluent notamment les nationalistes identitaires, les conservateurs anti-multiculturalistes et diverses mouvances de l'extrême droite), doivent leur succès à la validation de certaines inquiétudes de la majorité culturelle. Plusieurs gens ressentent à juste titre une ou plusieurs insécurités (économique, culturelle, et/ou écologique) engendrées par la mondialisation néolibérale, mais celles-ci sont largement niées par le discours médiatique dominant. Qui plus est, ces craintes sont largement ignorées, invisibilisées ou même méprisées par les "élites" économiques, politiques et culturelles.
À ce cocktail d'insécurité et de déni de reconnaissance s'ajoutent diverses "menaces" potentielles nourries par les médias de masse, les chroniqueurs d'opinion et les chambres d'écho sur les médias sociaux: attaques terroristes, "péril musulman", immigration de masse, recul de l'identité nationale, etc. Ajoutons à cela les diverses revendications de nouveaux mouvements sociaux (antiracistes, féministes, LGBTQ+) qui remettent en question certains privilèges et formes de discrimination présentes dans la société. Ces diverses critiques de la "gauche diversitaire" (utilisons cette étiquette par commodité) provoquent une réaction affective typique de la "fragilité blanche", mais à large échelle: peur, colère, culpabilité, besoin d'être rassuré par l'autre, besoin d'apaiser nos craintes et de se faire dire que nous sommes des "bonnes personnes".
Ici, le populisme conservateur valide les émotions de colère, de peur, et de culpabilité des personnes qui se sentent attaquées dans leur "moi", mais en invalidant en bloc toute critique des privilèges et des discriminations. Ce discours dit aux gens: "on comprend que des social justice warriors (SJW) veulent vous faire sentir coupables", "vous avez raison d'être fâchés et en colère contre ces minorités/bien pensants qui remettent en question votre identité", "ceux là ont tort sur toute la ligne", "vous avez raison de vous aimer, d'être fiers de qui vous êtes". Ici, il ne s'agit pas seulement de la fragilité blanche (relative aux enjeux du racisme), mais d'une fragilité multidimensionnelle, collective, voire nationale.
Pour ne prendre que l'exemple de la nation québécoise, particulièrement consciente de sa fragilité historique (pensons au discours de la survivance qui a prédominé pendant une centaine d'années avant la Révolution tranquille), celle-ci se sent attaquée à tort ou à raison par divers facteurs, résumés dans la caricature commode du "mondialisme diversitaire", du "régime diversitaire", de "l'empire du politiquement correct". On peut certes critiquer la validité factuelle de cette description simplifiée, mais tâchons de bien comprendre la "validité émotionnelle" d'un tel dispositif; on valide que vous êtes inquiets, que vous vous sentez coupables de quelque chose de plus ou moins clair et diffus. On valide votre besoin d'être protégé, d'être rassuré. Vous vous sentez victimes de quelque chose, vous cherchez bien sûr à écarter ce sentiment désagréable, et vous avez une personne qui apporte une réponse simple à votre malaise.
Le malaise est bien réel, mais la validation du populisme conservateur le nie en le retournant contre ses destinataires: les antiracistes sont transformés en "néoracialistes" ou "racistes antiblancs", la "gauche" est transformée en apologie de "l'individualisme radical", les féministes sont dépeintes en "féminazies", les nationalistes pluralistes sont transformés en "méchants multiculturalistes", les frontières sont transformées en passoires pour "immigrants illégaux", les écologistes qui citent des études scientifiques sont transformés en "fanatiques religieux", etc. En fait, la validation de la fragilité de la majorité culturelle s'accompagne d'une invalidation tout aussi intense de toute inquiétude adjacente, "minoritaire" ou opposée. Et, le plus souvent, on va même invalider d'autres angoisses encore plus terribles, comme celle de la crise écologique et de l'effondrement potentiel de la civilisation thermo-industrielle. Les réactions viscérales à l'endroit de Greta Thunberg, ne sont qu'un symptôme, au sens fort et freudien du terme, de ce "malaise dans la civilisation".
Résumons un peu notre propos: nous vivons à une époque de malaises (au pluriel), d'inquiétudes diffuses, d'angoisses plus ou moins avouées face à différents enjeux. Reconnaissons ce malaise, lequel n'est pas le propre des "minorités" ou de la "majorité". En réalité, nous sommes presque toujours plus ou moins privilégiés ou défavorisés sous certains aspects, car notre identité n'est pas une mais complexe, et nous vivons diverses inquiétudes relatives à notre situation dans le monde. Disons-le d'emblée, personne ou aucun groupe n'a le monopole de l'angoisse, car nous vivons à une époque crissement stressante, effrayante et angoissante.
Dans ce contexte anxiogène, certains discours valident certaines inquiétudes, et en invalident d'autres. Le populisme conservateur, de son côté, a la qualité de valider en bloc les inquiétudes des personnes qui s'identifient à la "majorité culturelle" (peu importe leur revenu, leur sexe et même leur origine ethnique), et d'invalider en bloc toutes les critiques, émotions et préoccupations des "autres" (au pluriel), c'est-à-dire de tous ceux et celles qui sont susceptibles d'ajouter de nouvelles inquiétudes à notre angoisse actuelle.
Ceux-là, les "diversitaires", ne sont jamais définis positivement ou de manière précise, car il s'agit avant tout d'une façon générale de désigner l'ensemble des personnes qui me remettent en question, qui viennent me culpabiliser, me traiter de raciste, d'homme blanc, de conservateur, d'extrémiste, etc. Au fond, comme dirait Sartre, "l'enfer, c'est les autres"; mais les "autres", dans le cas qui nous intéresse, regroupent les minorités, les SJW, les multiculturalistes, les islamistes, bref toute la gang de la "gauche diversitaire". La puissance émotionnelle du populisme conservateur réside dans sa capacité à valider cette angoisse, et à invalider, et même à refouler, les causes réelles ou imaginaires, de cette souffrance.
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